Conseil constitutionnel : la préservation de l’Etat de droit confiée à un «club de retraités» de droite

Le Conseil constitutionnel reste, soixante-six ans après sa création, une institution fragile. Cela tient à sa composition, son péché originel. La presse scrute désormais le profil des nouveaux membres : elle épluche leurs CV, la durée de leurs études de droit, les fonctions qu’ils ont occupées et les conflits d’intérêts potentiels. Le Conseil constitutionnel totalise dorénavant cinq anciens ministres : un record depuis 1959. S’il compte trois ex-magistrats, deux d’entre eux ont toutefois fait l’essentiel de leur carrière dans des fonctions éminemment politiques, y compris des directions de cabinet. Très peu d’entre eux, en outre, répondent aux critères élémentaires d’expérience et de pratique juridiques nécessaires au travail d’une juridiction, comme c’est le cas à la Cour constitutionnelle allemande, souvent citée en modèle. A Karlsruhe, les 16 juges constitutionnels sont tous des juristes confirmés, dont six choisis au sein des plus hautes juridictions. Sait-on que la loi allemande fixe aux conseillers une limite d’âge à 68 ans ? Rue de Montpensier, leur âge moyen dépasse les 72 ans. Le Conseil constitutionnel, enfin, reste désespérément masculin avec trois femmes sur neuf. Qu’il est loin le temps, 2013, où les trois autorités de nomination (toutes de gauche, soit dit en passant) s’étaient accordées pour y nommer trois femmes.

Pluralisme en berne

Avec neuf membres, nommés par toutes les nuances de la droite (présidents de la République et du Sénat, présidente de l’Assemblée nationale), le Conseil est pour la première fois depuis quarante-deux ans politiquement monocolore. Avec le départ de Laurent Fabius et de Corinne Luquiens, juriste reconnue, l’instance vient de perdre ses deux seuls contre-poids. Ce monolithisme se prolongera bien au-delà de la présidentielle et des législatives, quelle qu’en soit l’issue. Quand bien même la gauche reviendrait aux affaires en 2027, elle devrait patienter jusqu’à 2028 pour y disposer d’un ou de deux sièges sur neuf. Richard Ferrand le présidera jusqu’en 2034. On objectera que les sages n’endossent pas nécessairement les positions de l’autorité à laquelle ils doivent leur désignation. Qu’en fin de carrière, ils peuvent même faire preuve d’indépendance. Il reste qu’une autorité dont la raison d’être est l’impartialité (et qui proclame que «le pluralisme constitue le fondement de la démocratie») ne saurait être monocolore. La Cour de Karlsruhe parvient très bien à concilier expertise juridique et pluralisme politique. La désignation des juges s’y fait sur une base paritaire entre gouvernement et opposition. Pour réunir la majorité des deux tiers requis pour désigner des juges, les partis doivent impérativement trouver un compromis. Rien à voir avec notre simulacre de validation des nominations par le Parlement et sa majorité quasi inaccessible des trois cinquièmes pour récuser un candidat.

C’est un Conseil constitutionnel affaibli par son dernier renouvellement qui devra faire face aux assauts de la droite LR qui l’accusait, il y a quelques mois encore, de «coup d’Etat institutionnel». Il aura à se prononcer prochainement sur la loi narcotrafic, sur une proposition de loi qui remet en cause le droit du sol à Mayotte, ou encore sur celle qui vise à interdire les mariages, quand l’un des époux est en situation irrégulière. Mesure-t-on que, juge des élections présidentielle et législatives, le Conseil sera l’arbitre suprême en cas de scrutins serrés, de contestation des résultats ou des comptes de campagne ?

Sa robustesse comme gardien de la promesse démocratique pourrait être mise à l’épreuve par l’élection éventuelle de Jordan Bardella et le projet du RN de référendum pour inscrire la politique migratoire dans le texte fondamental : un tournant radical, avec la modification de 18 articles de la Constitution et l’ajout de 7 autres. Jordan Bardella et Marine Le Pen ne cachent pas qu’ils y procéderaient sur la base de l’article 11 de la Constitution (comme le général de Gaulle) en contournant le Parlement. Le Conseil constitutionnel dispose désormais du pouvoir d’empêcher pareille manœuvre en annulant le décret de convocation des électeurs. On peut supposer qu’il fera obstacle au RN si celui-ci tentait de passer en force. Il demeure, et c’est modérément rassurant, que le sort de notre Etat de droit risque, en 2027, de reposer entre les mains, pour reprendre l’expression de Dominique Schnapper, d’un «club de retraités».

Jean-Louis Bessis, professeur des universités en droit public et Maurice Ronai, ancien commissaire à la Cnil

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