Un regard technopolitique sur l’année 2008

LETTRE DE TEMPS RÉELS N°103 12 JANVIER 2008

Que le début de l’année 2008 paraît loin ! Avec l’élection de Barack Obama et le retour des puissances publiques au premier plan, pour sauver les banques, remettre des régles dans le système financier et relancer les économies, le cycle ouvert en 1981 par Ronald Reagan est probablement en train de se refermer.

Le bilan de l’année 2008 que nous proposons recense ces moments, ces controverses, au cours desquelles les technologies numériques affleurent dans le débat public ou accèdent au rang d’enjeu politique.

1) L’économie numérique subit les effets de la crise … et les plans sociaux

L’Observatoire européen des technologies de l’information (EITO) divise par deux ses prévisions de croissance des TIC pour 2009 . IDC ne prévoit plus que 1,2% de croissance des dépenses informatiques en 2009 en Europe de l’Ouest. Du coup, les entreprises engagent une réduction drastique des coûts (gel des embauches, réduction des frais de marketing, examens de tous les frais généraux). Voire des plans sociaux, souvent brutaux.

Selon Gartner, l’industrie des semi-conducteurs s’apprête à vivre un moment historique : elle devrait aligner deux années successives de baisse : le marché mondial des composants électroniques devrait décliner de 4,4 % en 2008 à 261,9 milliards de dollars. Mais la chute attendue pour 2009 devrait être plus brutale encore puisque les ventes devraient reculer de 16,3 % en 2009. IDC prévoit désormais une baisse en valeur de 1,3 % du marché des PC dans le monde en 2009, sachant que la chute serait de 13,7 % aux Etats-Unis et de 5,8% en Europe. Les ventes de serveurs baisseraient aussi de 1,6 % dans le monde. Témoin de la morosité régnante, l’action de Google est passée sous la barre des 300 $, une première depuis trois ans.

2) Barack Obama, premier président de l’âge numérique

Le feuilleton du Blackberry de Barack Obama (qui ne peut se résoudre à délaisser son Blackberry, une fois à la Maison Blanche, le 20 janvier prochain, afin de « rester au contact des gens ») nous éclaire sur le rapport personnel que le nouveau président entretient avec l’ordinateur et de l’Internet. Familier des technologies numériques, Barack Obama saisit leur puissance quand elles sont mises au service d’une volonté de changement. On l’a vu tout au long d’une campagne qui s’est très largement appuyé sur Internet pour mobiliser des volontaires, lever des fonds, recruter des activistes locaux et les organiser pour contacter des millions d’électeurs et labourer le terrain. Une campagne en réseau, aussi bien locale que virale.

Premier président de l’âge numérique, Barack Obama l’est doublement.

-  Par la place qu’occupent les technologies numériques dans son programme, la précision (et souvent la fermeté) de ses engagements : préservation de la net-neutralité, protection de la vie privée, relance de l’informatisation des agences fédérales avec la création d’un poste de Chief Technology Officer, déploiement du haut débit sur tout le territoire, investissement public prioritaire dans les technologies éducatives, l’e-Santé et l’informatique verte. S’il a pris des engagements en matière de réforme du droit d’auteur ou encore du droit des brevets, ses propositions sont restées, il est vrai, assez vagues.

- Par la perspective qu’il a dessinée, au fil de ses interventions, d’une « démocratie transparente et interconnectée » : libération de l’accès aux données publiques, mise en place de forums et d’espaces participatifs pour suivre et commenter les projets et décisions du gouvernement.

Du programme de relance économique (qui accorde une large place à l’investissement public dans le haut débit et l’équipement informatique des écoles et des hôpitaux) à l’ouverture du site change.gov (qui permet aux citoyens américains de suivre, pas à pas, la mise en place de la nouvelle administration, de débattre d’un certain nombre de thèmes, comme la mise en place d’une sécurité sociale), de suggérer des priorités) un certain nombre de ces engagements de campagne sont en passe d’être mis en œuvre.

-  Le programme numérique de Barack Obama

-  Science, Technology and Innovation for a New Generation

-  Internet et économies d’énergie au coeur de la relance d’Obama

-  Five Change.gov Clues to Obama’s Approach to Governing

On se demandait depuis son élection ce qu’allait devenir le mouvement et les réseaux qui avaient pris forme autour de la candidature de Barack Obama : les deux millions de volontaires impliqués dans la campagne, les milliers de « Precinct Captains », de Team Leaders, de local et de field Organizers, formés dans les Obama Camps, rompus aux techniques de mobilisation en ligne et sur le terrain. A plusieurs reprises, le Président élu avait annoncé qu’il comptait s’appuyer sur ce mouvement « grassroots » et « netroots » : pour faire émerger des idées mais aussi pour mobiliser l’opinion face aux groupes d’intérêt qui risquent de faire obstacle à la mise en oeuvre de son programme de réformes. L’équipe d’Obama vient de lancer www.usaservice.org, un site de réseau social qui permet de s’engager localement, de s’organiser pour agir localement, de mettre en place des groupes et d’organiser des réunions publiques dans un quartier ou une communauté.

Le think tank Terra Nova a mené fin décembre une mission d’étude aux Etats-Unis sur la campagne présidentielle américaine. Réalisée à partir de 80 entretiens exclusifs et approfondis avec les principaux acteurs de la campagne à Washington, New York et Chicago en novembre et décembre derniers, l’étude décrypte les innovations de la campagne présidentielle. Elle en tire des enseignements et des recommandations concrètes pour la vie politique française, tendant à sa modernisation et à la dynamisation de notre démocratie. Le rapport de la mission sera présenté le 19 janvier.

3) Liberté de la presse en 2008 : 59 blogueurs interpellés et plus de 1700 sites d’information fermés ou suspendus ; la répression se déplace sur Internet

Dans son bilan annuel, Reporters sans frontières observe une baisse du nombre de journalistes arrêtés ou tués (60 au lieu de 86 en 2007). Cette baisse masque « une généralisation de l’intimidation et de la censure ». Ainsi, la baisse du nombre de morts en Afrique (3 en 2008, 12 en 2007) s’expliquerait surtout par le renoncement de nombreux professionnels à exercer leur métier. Reporters sans frontières observe que la répression s’exerce de plus en plus sur Internet.

« L’accroissement de l’influence et des potentialités d’Internet s’accompagne d’une plus grande vigilance de certains gouvernements, aux tendances sécuritaires déjà fortes. Les pays répressifs se dotent chaque année de nouveaux outils, permettant le traçage des données et la surveillance du Réseau. Ce dernier devient peu à peu le champ de bataille des citoyens au regard critique ou des journalistes censurés, et à ce titre représente une menace pour les puissants, habitués à gouverner selon leur bon vouloir et dans l’impunité » explique l’association.

-  Liberté de la presse : l’année 2008 en chiffres

4) Privacy International : en 2008, l’anti-terrorisme à l’origine de politiques de surveillance intrusives et illégales.

L’anti-terrorisme continue d’être à l’origine de politiques de surveillance intrusives et illégales.Par exemple, après l’échec des attentats de Londres à l’été 2007, le gouvernement britannique a ordonné que toutes les données relatives à la surveillance des automobiles à Londres, enregistrées au départ pour éviter l’engorgement de la capitale, seront mises à la disposition des services de renseignement : ces données pourront ensuite être transmises n’importe ou dans le monde. Mais les politiques anti-terroristes ne sont plus les seules à susciter la mise en place de mécanismes de surveillance invasifs, souvent disproportionnés et inefficaces. Les politiques d’immigration et de sécurité publique font désormais usage de techniques invasives de manière significative.

-  Rapport annuel de Privacy International

-  Privacy International avait classé fin 2007 la France parmi les « sociétés à surveillance extensive »

5) France : Le plan de relance de Nicolas Sarkozy fait l’impasse sur l’économie numérique

le Plan de relance ignore pratiquement l’économie numérique. Et ce, quelques semaines après l’annonce du Plan Besson pour le développement de l’économie numérique. Les priorités du Plan de relance de Nicolas Sarkozy se trouvent ainsi singulièrement décalées par rapport à celles du programme de relance de Barack Obama. Le programme de relance qu’Obama présente « comme le plus important programme de développement d’infrastructures aux Etats-Unis depuis l’après-guerre relie » étroitement urgence sociale (lutte contre le chômage), double priorité aux économies d’énergie et aux technologies numériques. 2008 restera sans doute comme l’année des occasions manquées en matière de politiques publiques liées aux nouvelles technologies. La nomination d’un secrétaire d’état à l’Economie numérique était censée donner un souffle nouveau à l’économie numérique. Avec son plan de relance en réponse à la crise, le gouvernement avait début décembre une seconde occasion de parier sur l’industrie IT. L’économie numérique en est pratiquement absente, comme l’ont regretté les acteurs économiques du secteur.

-  Le plan de relance de Nicolas Sarkozy fait l’impasse sur l’économie numérique

6) Le Credoc observe en 2008 une pause dans la résorption des inégalités numériques

Chaque année, le Credoc mène une enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française à la demande du CGTI et de l’ARCEP.. Cette étude est une source inépuisable d’informations sur l’équipement des français en téléphone mobile, en micro-ordinateur et l’accès Internet. Si l’équipement des individus en téléphone mobile, en micro-ordinateur et l’accès Internet au domicile progressent en 2008 de manière relativement linéaire, les écarts, considérables, subsistent. Les facteurs très discriminants sont toujours l’âge, le revenu, la profession et le niveau de diplôme.

En 2008, pour la première fois depuis 1995, le Credoc observe une « pause dans la résorption des inégalités ». « Le mouvement de baisse des inégalités régulièrement observé depuis 1995 est stoppé cette année. Les inégalités concernant l’ordinateur et le téléphone mobile repartent même très légèrement à la hausse ». On retrouve ces inégalités d’équipement en ordinateur dans les usages. Ainsi pour la réalisation de démarches administratives ou fiscales par internet, seulement 11% des non diplômés y ont recours contre 69% des diplômés du supérieur.

La France reste très loin des meilleurs pays européens. En Hollande, c’est 86% des ménages qui ont accès à internet à domicile.

-  Pause en 2008 dans la résorption des inégalités numériques (ordinateur, téléphone portable et accès internet)

-  Avicca : Internet pour tous : ne pas sacrifier deux générations

7) France : Le Plan Besson fait pschitt

La création d’un secrétariat d’état à l’économie numérique (même à temps partiel) et l’annonce d’un plan de développement de l’économie numérique à l’horizon 2012 avaient suscité des attentes. Ces attentes risquent d’être déçues. Il semble bien que les leviers pour le développement de l’économie numérique échappent, pour l’essentiel, à Eric Besson. L’économie numérique était absente du Plan de relance. Eric Besson n’a aucune prise sur les arbitrages présidentiels, comme la décision de taxer les opérateurs Internet et de téléphonie pour financer l’audiovisuel public ou encore l’obstination du Chef de l’Etat à mettre en œuvre la riposte graduée. Silencieux après les déclarations de Fréderic Lefebvre, Eric Besson s’apprête à mettre en place un Conseil national du numérique protéiforme qui mêle des fonctions contradictoires. Les fonctions de régulation et de médiation de ce Conseil risquent ainsi de contaminer la fonction d’orientation stratégique.

-  Plan Besson et Grenelle de l’Environnement : premières victimes du Plan de relance

-  Développement de l’économie numérique ou communication autour de l’économie numérique ?

-  Premier bilan du sarkozysme numérique

-  Le protéiforme Conseil national du numérique d’Eric Besson

8) France : Edvige : le premier recul de Nicolas Sarkozy

La presse a longuement commenté les reculs de Nicolas Sarkozy en décembre sur la réforme du lycée et à propos du travail le dimanche. En fait, le premier recul du chef de l’Etat remonte à septembre 2008. Et il concernait Edvige. C’était la première fois que Nicolas Sarkozy perdait la bataille de l’opinion sur la question sécuritaire, son domaine de prédilection. La première fois aussi depuis longtemps que les enjeux de protection de la vie privée suscitaient une telle mobilisation. La première fois, enfin, depuis le 11 septembre, que le renforcement indéfini des mesures de sécurité et de surveillance se rencontre autant de résistances.

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