« Opération Villes mortes », « journée de colére populaire » : l’appel à la gréve générale en Egypte dimanche contre la vie chère s’est propagé sur Internet de blog en blog et par SMS.
S’opère ainsi une étrange jonction entre des mouvements sociaux traditionnels et la rebellion d’une partie de la société civile. Internet (et Facebook singulièrement) semblent avoir joué un rôle essentiel dans la mobilisation de la société civile.
Phénomène radicalement nouveau : il est possible de suivre à distance, via Facebook ou Twitter, quasiment en direct ce mouvement social, son étouffement et sa répression par la police.
Dimanche 6 avril devait démarrer la grève des travailleurs de la plus grande usine textile du Moyen-Orient, celle de Ghazl El-Mahalla. Une grève difficile. Les forces de l’ordre sont déjà intervenues a plusieurs reprises dans cette entreprise.
C’est dans ce contexte qu’a été lancé un appel à une opération « villes mortes »par un coalition qui regroupe syndicalistes et intellectuels : collectifs ouvriers d’a-Mahalla, d’Al-Dawwar de Kafr, mouvement du 9 mars pour l’autonomie des universités, Kifaya, Al-Wasat, Al-Karama…
Les Egyptiens sont appelés à rester chez eux, éviter de faire des courses, s’habiller en noir et déployer le drapeau national aux fenêtres en soutien aux travaileurs en gréve. Le mouvement d’opposition Kefaya s’est joint au mouvement.
Si cet appel circule à travers les réseaux traditionnels, il s’est propagé aussi à travers un groupe appelé « 6 avril » sur Facebook, créé il y a une semaine et rejoint par plus de 66.000personnes. Et relayé par une blogosphère vibrionnante.
Courtney, une journaliste américaine free lance qui réside au Caire, rappelle sur son blog ArabMedia que « seuls 12 à 15% de la population égyptienne est connectée. Mais j’en sais quelque chose : ceux qui son conectés e lisent pas les blogs.. Il y a bien plus d’Egyptiens sur FaceBook que sur les blogs. L’importance du bon vieux papier et des rencontres avec des personnes dans la rue ne diminue pas dans l’âge numérique ».
Baleyya rapporte que toutes les institutions officielles se sont mobilisées pour contrer ce mouvement.
Ainsi, le quotidien Al-Ahram avait donné la parole à un magistrat pour rappeler que l’article 124 du Code pénal prévoit des peines de prison de 3 mois à un an pour les actes de grève, et le double pour ceux qui incitent à la grève.
On apprenait, d’ailleurs, samedi, que le blogueur et activiste Malek] avait été arrêté pour avoir distribué des tracts.
Son arrestation a été rapportée la première fois par des bloggers par l’intermédiaire de Twitter « Malek a été arrêté. Il est au commissariat de police de qadima d’EL de masr »..
L’information était confirmée quelques heures plus tard :« Malek est au commissariat de police de Masr Kadima (le vieux Caire). Les avocats sont actuellement avec Malek au commissariat de police. ».
ArabMedia rapportait ce matin que « les rues sont pleines de policiers. Il est 11 heures du matin. J’ai parcouru en voiture le centre de la ville pour voir ce qui passait. Il y a des barrages de police devant le siège des syndicats d’avocats et de journalistes. Place Tahrir, ils se tiennent prêts en tenue anti-émeute, boucliers et matraques. Pas mal de de gens dans les rues : ils vont au travail ou vaquent à leurs occupations. Il n’est que 11 heures du matin. Attendons de voir comment les choses évoluent. »
6 avril : la grève générale en direct
11h (Paris) On apprend via le Twitter d’Alaa, le vétéran de la blogosphère égypienne que « Mohammed Sharkawy et Mohamed Al Ashqar avaient aparemment été arrêtés ».
Selon le blog ArabMedia « Les premières nouvelles initiales que j’ai sur Mahalla ne sont pas bonnes… Il semble que la grève ait avorté. L’usine est assiégée par la police. Les forces de sécurité entourent l’entreprise. La police contrôle les entrées et les sorties des ouvriers. À l’intérieur, il y a des agents de sécurité partout pour disperser les ouvriers qui se réunissent… J’ai parlé avec un syndicaliste à l’intérieur de l’usine. En civil. Pas d’uniformes. Les agents de sécurité sont en civil. Sécurité d’État, police, gangsters. Il y a même les gens du Mukhabarrat ici… Le personnel en uniforme a été retiré de l’usine et remplacé par ces agents en civil. »
11h15 (Paris) : A l’heure qu’il est, en Egypte, la grève de de l’usine de Mahalla a probablement été étouffée dans l’œuf. Quant à la « journée de colère populaire » contre la vie chère, il sera difficile d’en mesurer le succés.
Le gouvernement avait prévenu samedi qu’il prendrait des « mesures immédiates et fermes ». Le communiqué du ministère de l’Intérieur, repris par la télévision nationale, laissait prévoir un déploiement considérable de forces de sécurité au Caire et dans les grandes villes.
Revenons sur la genèse de ce mouvement. Cela fait plusieurs mois que se développe en Egypte une vague de mobilisations sociales : grèves ouvrières, explosions dans les quartiers de nombreuses villes et dans certains paysans. En toile de fond : un climat d’exaspération sociale, lié à la flambée des prix et la pénurie de pain subventionné. Selon le Figaro, « dopés par la flambée des cours internationaux, les prix de tous les produits alimentaires de base ont enregistré ces derniers mois une hausse vertigineuse. Selon le programme alimentaire mondial, les dépenses d’un ménage égyptien ont augmenté de 50 % depuis le début de l’année. Les salaires, eux, n’ont pratiquement pas bougé. Hanté par le souvenir des violentes émeutes de 1977 (70 morts), provoquées par une hausse brutale du prix du pain, Hosni Moubarak a mis à contribution l’armée pour « mettre fin à la crise du pain ».
Cette étudiante française installée en Egypte rappelle l’origine de cette « crise du pain » sur le site des socialiste de Sciences Po : « 5 piastres la galette de pain au prix subventionné. Avec un euro fort, on ne peut même pas convertir. Disons que 20 galettes valent environ 0,10€, autant dire un prix véritablement dérisoire pour un regard européen, même celui d’un Européen vivant en Egypte. Pourtant, on recense actuellement 15 morts en Egypte, suite à des émeutes devant les boulangeries, conséquence de la situation actuelle de pénurie ».
14h30 (Paris) : Selon ArabMedia, « la police arrête des personnes sur les routes qui ménent à Mahalla. Les internautes qui ne sont pas identifiés comme activisites par la police sont invités à se rendre à Giza (par la boulangerie) ou à Tharir ».
Il semble que des messages contradictoires circulent. Initialement, les Egyptiens avaient été appelés à rester chez eux. Les responsables de Kifaya, redoutant l’absence de couverture par les médias, faute d’images, appellent les cairotes à manifester Place Kharir, plutot que de rester chez eux ou de se rendre à Mahalla. Comme l’observe Courtney, « rester à la maison ne fait pas de belles images à la télévision ».
18 h (Paris) : Selon Alaa Abd El Fattah (via son twitter), la situation semble tourner assez mal : Arrestations et violences à Mahalla, 25 manifestants arrêtés à Mansoura et transférés dans des « central security camps ». Le centre-ville du Caire semble calme, en revanche.
19h30 (Paris): le récit des agences de presse
AFP : Echec à la contestation en Egypte: Le régime du président égyptien Hosni Moubarak a fait échec à des appels à une grève générale dimanche contre la vie chère, qui s’étaient propagés sur internet comme une traînée de poudre. Alors qu’une dizaine de contestataires, bloggeurs et activistes, avaient été arrêtés samedi soir, le quadrillage policier de lieux « stratégiques » du Caire était total dimanche. De nombreux policiers, y compris des forces anti-émeutes, avaient pris position dimanche à Mahallah autour de l’usine de la compagnie publique Misr Filature et Tissage, centre de la nouvelle contestation sociale en Egypte depuis deux ans.Dans son communiqué, le ministère de l’Intérieur avait mis en cause des « professionnels de la provocation et des courants illégaux », les accusant d’ »avoir propagé de fausses rumeurs et appelé » à divers mouvements de protestation, dont la grève.
Reuters : La police a tiré des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes pour disperser des employés de l’industrie textile qui manifestaient violemment dimanche dans le delta du Nil, à Mahalla el Koubra, à cent kilomètres au nord du Caire, pour réclamer des hausses de salaires. Les manifestants ont détruit les vitrines de plusieurs magasins et mis le feu à des marchandises, ont rapporté des témoins. Ils ont également érigé des barricades de pneus enflammés sur certaines places de la ville. Quelque 25 personnes ont été blessées, la plupart intoxiquées par les gaz lacrymogènes. A travers le pays, la police a interpellé plus de 200 personnes et des petits groupes de manifestants ont été encerclés par les forces de l’ordre au Caire.
Bloomberg : 500 arrestations: Le gouvernement égyptien reconnait avoir arrêté plus de 500 personnes à travers le pays. Deux cents ouvriers de textile ont été arrêtés à EL-Kobra d’Al-Mahala. La police a empêché un rassemblement sur la place principale de Tahrir au Caire et a également procédé à des arrestations dans les villes d’ Alexandrie, de Mansoura et de Mahala.