L’industrie américaine du cinéma est aujourd’hui la seule, dans le monde, qui continue de produire des films qui de guerre ou qui mettent en scène les forces armées. Hollywood revient régulièrement sur la deuxième guerre mondiale, prototype de la « guerre juste « (« Il faut sauver le soldat Ryan, « Bands of Brothers », Pearl Harbor), le Vietnam, la Guerre du Golfe. La deuxième guerre d’Irak a suscité prés d’une dizaine de fictions, de tonalité plutôt critique.
La guerre est présente à travers plusieurs genres ou sous-genres : films de combat, « POW films », fictions militaires en temps de paix, reconstitutions, à grand spectacle, de grandes batailles, science fiction. Les forces armées américaines ont perçu très tôt l’intérêt de favoriser la production de films de guerre et de combat. Se sont nouées ainsi, des les années 20, des relations de coopération entre les studios et les forces armées. Les forces armées mettent à la disposition des studios du personnel, des équipements (souvent hors de prix, inexistants dans le secteur civil), des bases militaires. En contrepartie, elles s’arrogent un droit de regard sur le scénario. D’emblée, aussi, les relations Hollywood-forces armées se nouent sur fond de rivalité inter-services. La Navy et l’Army (auxquels se joindra plus tard l’Air Force) s’appuient sur Hollywood dans leur compétition. Le Département de la Défense a ainsi contribué à la « militarisation » d’une partie de la production hollywoodienne, qui s’étend désormais au jeu vidéo. Certains analystes évoquent même l’existence d’un « complexe militaro-cinématographique » : le « mili-tainment ».
Les films de guerre, notamment les films de combat dans lesquels un petit groupe d’homme condense la diversité de la nation américaine (un Wasp, un italien, un polonais, un noir) associent l’exaltation de l’héroïsme ordinaire et du patriotisme.
Avec la fin de la guerre froide, un nouveau genre émerge au cours des années 80 et prend son essor dans les années 90 : le thriller géopolitique. Le ressort narratif de ces fictions tourne autour d’une “menace” pour la sécurité nationale : détournement de missiles, trafic de têtes nucléaires, la prolifération d’armes bactériologiques ou le chantage cybernétique. L’inventivité des scénaristes dans la description des “menaces” et des “crises” a pour pendant une grande désinvolture dans la représentation de l’ennemi : mafia, groupe terroriste, “rogue state”. La “crise” est “gérée” au niveau le plus élevé du pouvoir américain (de plus en plus souvent incarné par le Conseiller national de sécurité, quand ce n’est pas le président lui-même) mais se dénoue sur le terrain, avec l’intervention de forces spéciales. La crise révèle, a tous les niveaux du système américain, des tensions et des fractures : entre armes, entre agences civiles et militaires, entre officiers supérieurs, entre pouvoir politique et institution militaire.
A travers cet examen de la place qu’occupent les forces armées, la guerre, les risques et les brèches de la « sécurité nationale » dans le cinéma américain, on se propose de mettre en relief une dimension nouvelle des fictions militaires : l’exaltation de la supériorité technologique des forces armées américaines. Ainsi, l’un des ressorts du succès de Top Gun résidait dans la beauté des batailles aériennes, la performance du couple pilote-machine. Top Gun exhibait l’image de porte-avions capables de projeter la force américaine dans le monde entier, d’une aviation supérieure, de pilotes bien formés. Quand la Guerre du Golfe éclate, trois ans plus tard, le public américain, les images de Top Gun en tête, ne doute pas de la victoire.
Cette exhibition de la performance technique n’est pas totalement nouvelle : l’Armée de l’air avait très tôt permis (et encouragé) les studios à mettre en valeur les performances technologiques de l’Air Force (The Big Lift, Strategic Air Command and A Gathering of Eagles). Ce qui est nouveau, c’est que cette thématique de l’avance technologique (déjà métaphorisée dans Nimitz-Retour vers le futur), envahit désormais tous les compartiments du « film de guerre ».
A travers des films comme Top Gun, ou des séries comme « E-ring » (produite par Jerry Bruckheimer), Hollywood conforte le public américain (et au delà le public mondial) d’une supériorité écrasante fondée sur la technologie.
L’optimisme technologique de ces « projections de puissance » coexiste désormais avec la mise en évidence des « défaillances » et des « bréches » dans les systèmes d’armes les plus sophistiqués. Les productions hollwoodiennes attirent de plus en plus l’attention sur la vulnérabilité de la guerre technologique face à des menaces asymétriques. En ceci, Hollywood apporte une double contribution nuancée aux débats américains sur la Révolution dans les affaires militaires.
Exposé présenté le 18 avril 2008 au séminaire interdisciplinaire EHESS sur les “révolutions/mutations militaires”.