La crise de la presse écrite
La reprise économique, quelle qu’elle soit, ne sauvera pas les modèles économiques des medias traditionnels. Le paysage a changé. Chris Cramer Reuters
Le marché mondial des +news+ aura baissé de 19% en 2009, après -7,5% en 2008. Pire que les banques ! Depuis l’an 2000, la destruction de valeur dans les grands groupes de medias américains atteint 200 milliards de dollars ! The Atlantic
En France, un tiers, voire la moitié, de la presse doit mourir et va mourir. C’est la réalité. Elle ne survivra que si elle offre des contenus pertinents dans le temps disponible. Axel Ganz – conseiller du directoire de Bertelsmann
J’ai commencé en 1966. Je n’ai jamais connu une crise aussi grave (…) Les niveaux d’investissements d’avant crise ne seront pas retrouvés dans les medias traditionnels Maurice Levy – PDG de Publicis
L’équation est connue : baisse des ventes, désaffection du lectorat, chute des revenus publicitaires, allant jusqu’à 20 %. La crise économique accélere une crise de la presse qui a de multiples causes.
La crise est plus brutale aux Etats-Unis, où l’on parle de «tremblement de terre». Le 8 décembre, le groupe de presse Tribune, propriétaire du Chicago Tribune, né il y a 161 ans, et du Los Angeles Times, s’est placé sous la protection de la loi sur les faillites. Le New York Times va faire appel à l’emprunt et doit hypothéquer son nouveau siège de Manhattan.
« Le modèle économique de la presse écrite ne fonctionne plus », estime Donald Graham, président de la Washington Post Company. Plus de 13 300 journalistes ont perdu leur emploi depuis le début 2008 aux Etats-Unis, contre 2 000 en 2007.
La crise n’épargne pas la France. Auditionné pendant les Etats généraux, fin novembre, Claude Perdriel, PDG du groupe Nouvel Observateur, reconnaissait être « dans la position du fabricant de carrosses alors qu’on est à l’ère de l’automobile. Une chose est certaine : la presse écrite est réellement menacée (…) La publicité baisse de 10 % à 15 % chaque année depuis 2000. ».
Après les quotidiens nationaux en 2007 et 2008, c’est au tour de la presse magazine d’être touchée par des plans sociaux. La presse magazine est particulièrement touchée par la baisse des recettes publicitaires qui se situe autour de 20 % pour le premier semestre. Dans le même temps, selon l’OJD, la baisse de diffusion des magazines, tous secteurs confondus, est dans une fourchette de 3 % à 3,5 %, par rapport au premier semestre 2008.
Les magazines sont confrontés à un effet de ciseaux : jusqu’ici, l’important était d’acquérir de l’audience à coup d’abonnements promotionnels ou de diffusion en nombre auprès des compagnies aériennes et des grands hôtels. Le coût de recrutement des abonnés augmentait, mais l’essentiel était de maintenir l’audience. Cette logique s’est brisée en 2009 quand les recettes publicitaires ont plongé.
Ce que traduit l’érosion croissante de ces recettes, ce n’est pas un simple transfert de parts de marché vers les nouveaux médias (Internet en particulier), mais une baisse continue de la consommation payante d’informations.
Il est de plus en plus difficile de vendre des journaux quand le public trouve l’information (et notamment les articles de presse et les dépêches d’agence) gratuitement sur les medias en ligne.
Généralement associée à un style d’information assez sommaire et ludique, la presse gratuite aura contribué à durcir un peu plus la concurrence faite aux producteurs d’information de qualité.
Si les sites de presse rencontrent un succés considérable, les recettes qu’ils procurent aux journaux sont loin de compenser les pertes de l’écrit. « La publicité ne réussira pas à faire vivre les sites à 100 % », affirme Bruno Patino, qui présidait le pôle des Etats généraux sur Internet.
La presse développe diverses stratégies pour réduire les couts ou pour freiner l’erosion des recettes. Certains journaux, comme le Christian Science Monitor, retiennent l’option radicale de supprimer l’edition papier pour se concentrer sur l’edition en ligne. Une autre stratégie vise à constituer une rédaction unique pour financer la production de l’information qui sera déclinée et diffusée ensuite sur le plus grand nombre possible de canaux.
Convaincu que Google et son service d’actualité Google News, détourne une partie de ses recettes publicitaires en ligne, le groupe Murdoch envisage de retirer l’ensemble de ses sites d’information de l’index de Google (et entre parallement en discussions avec Microsoft pour continuer à faire figurer ses sites d’informations sur le moteur de recherche Bing (promu par Microsoft et concurrent historique de Google).
Une nouvelle division du travail informationnel : tous journalistes ?
Le journalisme n’est plus le monopole des journalistes. Le journalisme est né au XIX eme siècle comme activité séparée : collecter, rassembler, vérifier et commenter des faits pour les porter à l’attention du public à travers les médias. Autour du métier de journaliste s’est développé une culture professionnelle, une déontologie. Le metier de journaliste s’est aussi organisé autour d’un statut (carte de presse), d’un droit du travail (la Convention collective nationale des journalistes) et des institutions.
Internet et les medias en ligne ont permis à un nombre croissant de personnes d’exercer des activités de type journalistique. Ponctuellement, en publiant sur leur blog, sur une plateforme, une actualité, une photo, une video, boire en l’adressant à une redaction. Ou de maniére réguliere en entretenant régulierement un blog. Toute une serie d’innovations ont mis ainsi a la disposition du public des moyens de production et et d’auto-édition. Le public dispose d’outils de veille et de promotion de plus en plus sophistiqués : après Facebook, Twitter et FriendFeed, voici Tumblr, Posterous, identi.ca, Plurk … Des agrégateurs permettent à ces articles d’accéder à un public large et à leurs auteurs de developper des stratégies de visibilité et de notoriété. Ce qui vaut pour les individus vaut aussi pour des collectifs qui ont pu créer ainsi leurs propres médias et trouver leur public.
Les activités de recueil des faits et leur commentaire s’opèrent ainsi largement en dehors des organes professionnels du journalisme. La fiabilité des très nombreux sites qui prétendent informer, critiquer et construire le débat public est loin d’être garantie : il reste que se développent aujourd’hui des medias en ligne de qualité, plus décentralisés mais pas nécessairement moins exigeants.
Une serie de sites ont ainsi vu le jour pour encourager le journalisme participatif ou encore citoyen, comme Agoravox. La presse, notamment la presse en ligne, s’efforce desormais de capter ce type de pratiques, en permettant au public de créer un blog associé a un titre, ou encore en publiant les articles qui leur sont proposés ou qui ont fait l’objet d’une notation. Rue89 en systématise le principe en s’affichant comme « l’info à trois voix : journalistes, experts, internautes ».
D’une certaine manière, l’essor de ces pratiques journalistiques interroge les journalistes sur ce qui fait la spécificité de leur métier :
• La collecte des faits : Aucune rédaction ne peut plus concurrencer aujourd’hui des millions de télélphones portables, dotés d’appareils photos et caméras sur le terrain. On se souvient de l’avion dans l’Hudson et des attaques de Bombay. Ceci vaut, mais à moindre degré, sur le plan proprement rédactionnel.
• L’analyse, l’opinion, les commentaires ? Avec l’essor des blogs, c’est une fonction de plus en plus partagée. Nombreux sont les commentateurs plus experts que le journaliste sur son sujet ou sa rubrique. Les rubriques spécialisées de la presse généraliste peuvent difficilement rivaliser avec les 5 ou 6 meilleurs blogs spécialistes d’un sujet
• La vérification ? Elle est de plus en plus difficile à assurer avec les réductions d’effectifs dans les rédactions.
La coexistence d’une corporation de journalistes professionnels et d’une population de journalistes-amateurs présente de nombreuses analogies avec ce qu’on observe dans la musique. Comme les musiciens-amateurs, certains journalistes-amateurs sont dans une demarche de professionnalisation, en tentant de monétiser leur blog ou de se faire recruter par un média en ligne.
L’immense majorité des journalistes-amateurs n’a pas cette ambition. Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre d’entre eux expriment une demande de formation aux outils du journalisme en ligne.
En quête de ressources financiéres, des médias en ligne comme Rue89 ou laTéléLibre développent une activité de formation. De son côté, le BondyBlog a ouvert une « Ecole du blog » à Lille, Bondy, Montpellier « permettre aux citoyens engagés dans la politique de la ville, aux jeunes, responsables associatifs, acteurs du monde scolaire, économique, institutionnel et culturel… de passer du rôle de spectateurs à celui de producteurs d’information pour porter d’autres paroles sur la place publique ».
L’invention de nouvelles formes de journalisme
« Act more as enabler & educator » Jeff Jarvis
« Les seuls avantages des grands médias sont leur trafic, l’attention qui leur est encore réservée et leur force de vente. Pour le reste, notre journalisme n’a rien à leur envier. Nous sommes plus souples et réactifs.» Om Malik, fondateur de GigaOm
Les « nouveaux acteurs des médias en ligne » (ceux qui ne sont présents que sur le web) ont souvent été le laboratoire ou s’inventent de nouvelles méthodes de traitement et de présentation de l’information.
Journalisme de liens
Le journalisme de liens (link journalism) propose des informations en continu sous la forme de liens vers des articles pertinents disponibles sur le Web. Cette pratique de base des blogueurs se banalise dans la presse en ligne. Le journaliste peut agir, non plus seulement comme un producteur d’informations, mais aussi comme un filtre et un guide parmi une multitude de sources en ligne. En anglais on parle de « curator » of news.
Le « journalisme de liens » n’est pas seulement mobilisé pour guider le public vers des sources fiables, mais aussi pour étayer une démonstration par des études ou des preuves vérifiables.
Factchecking
La pratique du « factchecking » consiste à vérifier les informations livrées ou les propos ténus par responsable public. Elle peut aussi s’appliquer aux informations publiées par un journal. [1] Cette pratique, plus pratiquée par la presse américaine que par la presse française, est l’un des genres favoris des blogueurs. La presse française consacre désormais des rubriques au factchecking, comme la rubrique « info ou intox » de Libération. Le Monde explore, avec « Les décodeurs », la piste du fact-checking collaboratif ». Avec Les décodeurs, le Monde propose à ses lecteurs « de passer au crible les propos des hommes et femmes politiques, chefs d’entreprise, syndicalistes, éditorialistes pour y démêler le vrai du faux. Et de traquer citations tronquées, promesses non tenues, chiffres inexacts, mauvaise foi évidente ou utilisation abusive de données ».
Visualisation des données et « journalisme visuel »
Les « nouveaux médias en ligne » ont souvent été précurseurs dans la présentation et la visualisation dynamique de données. Les meilleurs articles d’information, en ligne, les plus consultés, sont souvent de beaux diagrammes. Le Web amplifie un phénomène déjà bien amorcé par la télévision: le rôle grandissant donné à l’image et au visuel, pour communiquer et faire passer l’information. Dans les médias, jusqu’ici, les photos ou les vidéos servaient d’abord à illustrer un texte. Le blog Eye-Blogger, qui met en avant le concept du « visual journalism ». L’infographie, les mashups réalisés sur des graphiques animés, via Google Maps ou Google Earth, les applications flash, permettent de représenter visuellement des phénomenes complexes ou, dans le cas du «Digital Storytelling » de « raconter une histoire ».
Le journalisme de données
Le journalisme de données (« data journalism ») repose sur la compilation de données (qu’il faut parfois récupérer, convertir dans un format exploitable) et leur exploitation en vue d’extraire des résultats, qui pourront donner lieu à la réalisation de cartes ou d’infographies. Quand le commentaire est partout, le journaliste qui traite des données et qui les rend disponibles en ligne pour d’autres traitements retrouve un rôle central. Les nouveaux entrants, comme Rue89 ou Médiapart, malgré leurs faibles moyens, s’efforcent d’innover dans ce domaine, pour se différencier de leurs concurrents issus des medias traditionnels. Médiapart utilise réguliérement les GoogleMaps pour représenter, en temps réel, des mouvements de gréve, ou tenir à jour une carte des fermeures d’entreprises et des licenciements.
Le « journalisme de données » n’est pas l’apanage des médias en ligne professionnels. L’équipe qui est a l’origine de Nosdéputés.fr (une dizaine de membres) a collecté les données publiques accessibles sur l’actuelle législature, qui a débuté en juin 2007: quelque 300 000 interventions en séance ou en commission, 30 000 amendements, 60 000 questions écrites ainsi que 50 000 preuves de présence provenant des débats ou des relevés publiés au Journal officiel. La page de chaque député affiche un graphique d’activité pour les douze derniers mois, avec la présence, la participation et le nombre de mots prononcés par semaine. Réalisé à partir des textes et des interventions orales, un nuage de mots clés permettra d’appécier le champ lexical de l’élu: est-il plutôt versé dans le sécuritaire, dans l’alchimie fiscale ou les affaires culturelles ?
La quête de nouvelles formes de financement pour la presse et les médias en ligne
« Les grands journaux ne sont pas des entreprises comme les autres. Ils alimentent nos sociétés avides de connaissance en informations fiables et de qualité. Ils produisent un bien public que le marché concurrentiel est incapable de fournir dans de bonnes conditions». Martin Wolf, Editorialiste du Financial Times
« Le citoyen lambda ne réalise pas les dégâts causés à son droit à l’information par ce type de comportement. Le journalisme n’est pas seulement un problème de jobs ou de dollars perdus. C’est une institution publique vitale pour une société libre». Neil Henry, ancien reporter au Washington Post et professeur de journalisme à UC Berkeley.
« Grâce à l’Internet, des informations locales ou mondiales en temps réel, sont devenues des denrées banales, comme l’eau du robinet. Mais les médias en ligne, avec leurs recettes publicitaires bien moins importantes et de très rares abonnements, ne peuvent pas financer des opérations éditoriales importantes. Fast Company, le magazine américain de la nouvelle économie.
La crise de la presse aux Etats-Unis et la disparition de titres prestigieux a suscité un débat rés vif sur la recherche de nouveaux modes de financement d’activités informationnelles (décryptages et analyses indépendantes, journalisme d’investigation) que la presse a (et aura, très probablement) de plus en plus de mal à assurer.
Mécénat, philanthropie, fondations, aides publiques, entreprises de presse à à but non lucratiff : autant de pistes de réflexion, visant à sauvegarder l’indépendance éditoriale[3] et la capacité à financer un « regard de qualité et objectif sur le monde, l’accès à une information plurielle’
Fondations et entreprise à but non lucratif
Ce sont des fondations ou associations qui détiennent le St Petersburg Times[4], le National Geographic, Foreign Affairs, ou Harpers, l’un des plus vieux magazines américains, ou encore au Walrus, sans doute le meilleur magazine canadien. En Europe, The Guardian (UK), probablement le média européen le plus en pointe sur le Web, est organisé en « trust ».
Plusieurs groupes de presse américains envisagent de s’organiser en trusts, fondations ou associations à but non lucratif, pour s’émancoper de l’obligation de rémunérer des actionnaires, tout en bénéficiant d’avantages fiscaux.
Appel au mécénat
La Fondation Knight pour le journalisme a donné l’an dernier cinq millions de dollars au Media Lab du MIT pour financer un « Center for Future Civic Media », chargé de développer, tester et étudier des nouvelles formes de médias au service des communautés urbaines. Elle s’est engagée à verser 25 millions de dollars sur cinq ans pour développer de nouvelles formes de journalisme numérique tourné vers les communautés, et financera l’effort de formation de près de 500 personnes du staff de NPR pour sa mutation vers le tout numérique.
Fondé en 2008, ProPublica est financé par une fondation à but non lucratif, et se consacre à promouvoir le journalisme d’investigation. La petite équipe de journalistes de ProPublica mène ses propres enquêtes, qui sont soit coproduites avec d’autres médias comme dans celle du New York Times Magazine, soit mises à la disposition de l’ensemble des médias. Pour financer Pro Publica, Paul Steiger, après 16 ans à la tête du Wall Street Journal, s’est tourné vers des de philanthropes californiens qui verseront 10 millions de dollars par an, pour employer 25 journalistes d’investigation[5].
[1] Aux Pays-Bas, les étudiants de 4e année inscrits en journalisme à la Fonty University traquent les erreurs factuelles qui se glissent dans les médias. Après un travail de vérification, ces adeptes du fact checking contactent les journalistes responsables de l’article en cause. Le résultat de leur enquête est ensuite publié sur le blog FHJ Factcheck. Selon Théo Dersjant, le responsable du programme, 80% des articles vérifiés contenaient une erreur.
[3] Dans son édition de mars 2008, l’American Journalism Review publie un long article, baptisé « Non-Profit News », qui montre comment des initiatives, combinant financements par des fondations et philanthropie, prolifèrent dans la presse aux Etats-Unis.
Les plus grandes réussites dans l’information de qualité et indépendante, sont actuellement celles de la britannique BBC et de l’américaine NPR (National Public Radio). Ces deux médias audio-visuels publics ont de surcroît bien réussi leur virage sur le Web. NPR, est financée aussi par des dons importants de mécènes, mais également par ses auditeurs: un sur dix est contributeur financier à la station.
[4] détenu par le Poynter Institute, école de journalisme à but non lucratif),
[5] Le New York Times magazine a publié en octobre 2009 une grande enquête sur les hôpitaux de New Orléans au moment du passage du cyclone Katrina. Cett enquête, qui a coûté jusqu’à 400 000 dollars a été entiérement financée par la fondation ProPublica,.
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