Aujourd’hui en logistique, tout naît de l’informatique : le concept même de Supply Chain a été mis en avant par des réalisateurs de Supply Chain Management System et autres ERP (Progiciels de gestion intégrée). Si la logistique s’intéresse principalement aux flux de marchandises (des matières premières et emballages aux déchets, en passant par les en-cours, les produits finis, les pièces détachées, ainsi que les produits à recycler), c’est grâce aux flux d’informations qu’elle parvient à « piloter » les flux physiques.
L’infologistique est l’ensemble des outils et solutions technologiques qui permettent le pilotage informationnel des marchandises tout au long de la chaîne logistique. C’est par l’assemblage et l’agencement de technologies hétérogènes (logiciels, électronique, télécommunications, informatique embarquée) que la logistique innove.
L’ « infologistique » est cette sphère où ces différentes technologies se combinent et s’assemblent. Une des caractéristiques de la logistique, depuis le début des années 1980, est justement sa capacité à mobiliser des technologies « génériques » pour les adapter à ses besoins, à les mixer avec des technologies spécifiques, à composer ainsi des systèmes originaux.
Les technologies infologistiques ont permis de faire face à la montée en complexité du secteur logistique, notamment tout ce qui est lié à la diversification des produits. Elles ont joué un rôle moteur dans le développement d’innovations logistiques, telles que les flux tendus ou le juste-à-temps : les stratégies logistiques fondées sur les flux tendus ou le juste-à-temps ont suscité la mise au point et le développement de toute une série de technologies dédiées à la gestion et aux échanges d’informations au sein de la chaîne logistique : systèmes EDI (Échanges de Données Informatisées), code-barres, logiciels de planification et d’exécution de la chaîne logistique, technologies d’identification et de traçabilité, outils de mobilité et de géolocalisation.
L’infologistique tire désormais mieux parti des technologies génériques
Les besoins propres ou les contraintes d’emploi « en contexte logistique » ont conduit, dans le passé, les grands acteurs de la logistique à concevoir et faire développer des solutions spécifiques : EDI, logiciels de gestion des entrepôts ou de gestion des tournées pour le transport, systèmes de géolocalisation des camions.
La logistique recourt plus souvent que dans le passé à des technologies génériques : les systèmes EDI (longtemps associés à l’utilisation de réseaux à valeur ajoutée) s’adaptent désormais à l’Internet (Web-EDI) : les portails web mettent l’EDI à la portée des PME.
Les outils « génériques » de mobilité comme les téléphones ou les ordinateurs portables, la téléphonie 3G et le wifi se substituent aux solutions « spécifiques », souvent onéreuses, de mobilité déployées vers la fin des années 90 ou au début des années 2000.
Ce recours à des technologies génériques, généralement moins coûteuses que les solutions spécifiques, pourrait réduire le différentiel d’équipement « infologistique » entre grands et petits acteurs au sein des chaînes logistiques. Des évolutions comme le SaaS ou les logiciels Open Source pourraient également contribuer à réduire ce différentiel.
Nouvelles approches de l’interopérabilité
Les chaînes logistiques mettent en contact et mobilisent, par nature, une grande diversité d’acteurs, de sites et de circuits : la mise en œuvre d’une innovation infologistique ne produit pleinement ses effets que si l’ensemble des acteurs de la chaîne « s’alignent » et se dotent des mêmes outils infologistiques ou, pour le moins, d’outils interopérables. Une innovation isolée peu améliorer localement la productivité, réduire certains coûts… mais n’apporte pas les gains attendus si elle reste le fait d’une minorité des acteurs concernés. L’efficacité collective de ces innovations dépend assez largement de la capacité de l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique à faire communiquer leurs outils infologistiques.
C’est à des solutions logicielles qu’il revient de faire fonctionner ensemble les différentes composantes de ces systèmes et de faire communiquer tous les acteurs de la chaîne.
Ces problématiques d’interopérabilité entre une grande diversité de systèmes et d’acteurs confèrent au middleware (ou intergiciel) une importance tout à fait centrale : le middleware est cette couche logicielle intercalée entre système d’exploitation et les applications proprement dites pour réaliser les échanges entre applications. Ces intergiciels assurent la « réutilisabilité » des logiciels entre eux. Par les fonctions qu’ils remplissent (intégration, interfaçage et interopérabilité), ils constituent un enjeu essentiel des batailles de standards.
Clé de voûte d’un système d’information, notamment pour intégrer des « Architectures Orientées Services » (AOS ou SOA), les plates-formes intergicielles (middleware) jouent et joueront un rôle critique dans les solutions RFID car ils permettent de gérer l’interface entre les différents systèmes. Ils assurent l’extraction des données RFID depuis les lecteurs. Ils permettent également de filtrer les données, de les agréger et de les transmettre aux systèmes d’information d’entreprise du type ERP, SCM ou CRM.
Les stratégies d’interopérabilité fondées sur l’ouverture des API (interfaces de programmation) devraient trouver à s’appliquer dans le domaine de la logistique, après avoir bouleversé et ouvert le jeu dans des domaines d’application plus grand public comme la cartographie, avec les GoogleMaps ou la téléphonie mobile (avec l’Iphone et Android).
Prise en compte de l’exigence écologique par les fournisseurs de solutions infologistiques
Les concepts et les outils de gestion de la chaîne logistique ont contribué à augmenter le besoin de transport, à favoriser le « juste à temps » et le fractionnement des lots en réponse à l’individualisation des contraintes et à l’essor du e-commerce.
Une inversion de logique s’amorce : après avoir attendu des technologies infologistiques qu’elles procurent des gains de productivité, on attend désormais de leur mise en œuvre qu’elles réduisent l’empreinte écologique des activités de logistique et de transport. De nombreux paramètres de gestion sont concernés : nombre de kilomètres parcourus, taux de remplissage, taux de retour à vide, modalité du transport mais aussi de façon plus indirecte taille des lots et stocks de sécurité qui impactent fortement les taux de remplissage, les fréquences de livraisons ou le dimensionnement des moyens.
Les logiciels logistiques, conçus pour la plupart dans les années 80 et 90, dans un contexte d’énergie bon marché et autour d’exigences de réduction des stocks, de flux tendus et de réactivité, devront intégrer ces nouveaux paramètres dans les « règles métier » et les algorithmes d’optimisation. Les éditeurs de ces logiciels ont entrepris ou entreprennent de le faire. Il est légitime de se demander si le re-paramétrage (le replâtrage) écologique de ces logiciels, l’ajout de modules « écologiques de mesure et d’optimisation des émissions de C02 dans les ERP et les logiciels SCM réorganise les schémas logistiques en profondeur ou seulement à la marge.
Les pressions sociétales et réglementaires ouvrent peut être un marché pour une nouvelle génération de logiciels ERP et SCM qui intégreraient la contrainte écologique au stade même de leur conception. Cette interrogation vaut autant pour les logiciels de planification logistique (et les schémas logistiques qu’ils contribuent à façonner) que pour les logiciels d’exécution (les micro-décisions en matière de trajets ou d’allocations de ressources qu’ils aident à prendre).
Une innovation de rupture : la logistique bottom up
On distingue, classiquement, dans le fonctionnement des organisations des logiques verticales (« top down ») et des logiques « ascendantes » (bottom up) : fondées sur des décisions locales, les logiques ascendantes prennent mieux en compte les modifications du contexte, les incidents, les imprévus : elles sont dites aussi « adaptatives ».
Les outils de gestion de la chaîne logistique s’inscrivent dans une logique verticale, « top down » : on essaie de planifier, de tout prévoir et d’optimiser à l’avance.
Au cours de cette étude, et dans le cadre de l’atelier, l’hypothèse d’une logistique « bottom up », ou plutôt de stratégies combinant logiques « top down » et comportements « bottom up », a été envisagée. Cette hypothèse mérite d’être explorée.
L’émergence annoncée d’un Internet des Objets confère une certaine réalité à cette hypothèse. Pour le moment, nous en sommes au déploiement du RFID à l’intérieur de chaînes logistiques cloisonnées[1]. Ce sont les obligations de traçabilité dans l’agroalimentaire, l’industrie, des transports et de la distribution qui tirent les premières générations d’applications RFID.
Dans une chaîne logistique intégrant une logique «bottom up », les micro-décisions et les optimisations locales seraient mises en œuvre par les opérateurs. Elles pourraient l’être aussi par les objets eux mêmes (palettes, containers) pour peu qu’ils disposent des informations adéquates et soient dotés de « règles de comportement écologiques »[2].
Autour de l’affectation aux objets d’une certaine autonomie d’action et de décision se profile une « trajectoire de rupture » pour la logistique.
[1] « Les capteurs et actionneurs se connectent aux réseaux de ceux qui les ont installés, ils envoient leurs données où on leur dit de le faire, ils prennent leurs instructions d’une source prévue à l’avance et en général, unique. Les objets et les espaces se mettent bien en réseau, mais d’une manière sélective et le plus souvent hiérarchique, à l’intérieur de silos. … Ce système attribuera une identité à des objets selon des règles propres aux industries qui les produisent, les exploitent, les distribuent. Il ne fera nullement des objets des nœuds de réseau, tout au plus des terminaisons. L’imagination innovante trouve peu à s’appliquer, puisque l’accès à l’infrastructure de facto que constituent toutes ces puces demeure sous contrôle, que la combinatoire de ces puces, objets, espaces, utilisateurs demeure bridée.
[2] « Au delà des standards existants, l’Internet des Objets peut être compris comme un cyberespace « indéterministe et ouvert » dans lequel évolueront des entités ou objets virtuels autonomes dotés d’une intelligence propre et capables de s’auto-organiser en fonction des circonstances, des contextes ou des environnements. Cette intelligence leur permettra de partager avec des tiers (entités, objets) afin de faire converger leurs finalités. Il sera par essence événementiel, il se fera notamment « par le bas », c’est à dire selon des approches « bottom-up » basées sur l’événement et permettant un pilotage opérationnel à des niveaux subsidiaires » Philippe Gautier