Il faudra suivre de près la manière dont la Commission négociera les dispositions relatives au numérique et à la propriété intellectuelle dans le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP).
Sur ces sujets, le track record de la Commission (et en premier lieu, celui du commissaire Karel De Gucht) n’est pas rassurant.
Le commissaire De Gucht avait négocié le projet d’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), rejeté par le Parlement Européen en 2012 par 478 voix contre et 39 pour.
Malgré le rejet d’ACTA par le Parlement européen, le commissaire De Gucht avait repris les dispositions rejetées par le Parlement européen dans le projet d’accord économique et commercial Europe-CANADA (CETA)
Il faut donc anticiper les objectifs de négociation des Etats-Unis, fixer des lignes rouges. Et veiller à ne pas faire des concessions dans le domaine du numérique en contrepartie d’avancées dans le le domaine agricole (indications géographiques) …ou dans le domaine du luxe (contrefaçon des dessins et modèles industriels).
Trans Pacific Partnership Agreement (TPPA)
La plupart des dispositions que les Etats-Unis souhaitent, selon l’EFF, imposer a leurs partenaires asiatiques via le Trans Pacific Partnership Agreement (TPPA) sont d’ores et déjà en vigueur en Europe.
a) Place Greater Liability on Internet Intermediaries: The TPP would force the adoption of the US DMCA Internet intermediaries copyright safe harbor regime in its entirety.
C’est déjà le cas avec l’article 14 de la directive européenne sur le commerce électronique de 2000, assez largement calqué sur le DMCA. Il faudra voir, dans le détail, ce que les Etats-Unis souhaitent imposer comme nouvelles obligations aux FAI.
b) Expand Copyright Terms: Create copyright terms well beyond the internationally agreed period in the 1994 Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights (TRIPS). The TPP could extend copyright term protections from life of the author + 50 years, to Life + 70 years for works created by individuals, and either 95 years after publication or 120 years after creation for corporate owned works (such as Mickey Mouse).
C’est déjà le cas. Deux directives en 2006 et 2011 ont déjà porté de 50 à 70 ans la durée de protection des droits des auteurs, des artistes interprètes et des producteurs de disques.
La Commission européenne souhaitait je crois, aligner l’Europe sur les Etats-Unis et prolonger à 95 ans le droit d’auteur des artistes-interpretes et des maisons de disques. Elle y a, je crois, renoncé.
c) Enact a « Three-Step Test » Language
C’est fait. La directive DADVSI (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) de 2001 a déjà introduit le test en 3 étapes.
L’article 5 prévoit que les exceptions « ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ».
d) Escalate Protections for Digital Locks: It will compel signatory nations to enact laws banning circumvention ofdigital locks (technological protection measures or TPMs).
C’est déjà le cas en Europe. La directive DADVSI de 2001 pénalise le contournement des mesures techniques de protection.
ACTA-CETA
Il y a, sur ces questions de copyright (Hollywood) et de brevets (Big Pharma) une grande continuité de la diplomatie américaine.
Il est probable que le gouvernement américain souhaitera introduire dans le TIPP certaines des dispositions qu’il avait souhaité introduire dans le Traité ACTA.
Les dispositions les plus controversées au Parlement européen portaient sur :
- la responsabilisation des FAI : l’ACTA imposait de nouvelles obligations de coopération aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) dans la lutte contre piratage. Au delà de celles qui figuraient déjà dans la directive de 2000.
- le filtrage (en cas de violation de la propriété intellectuelle) : des procédures d’exécution plus expéditives destinées à prévenir l’infraction, et des mesures destinées à empêcher toute infraction ultérieure.
- un renforcement des mécanismes d’exécution dans la lutte contre les infractions aux droits d’auteur et droits voisins même si elles n’ont pas pour but direct ou indirect un gain financier
- Médicaments génériques: ACTA imposait, au nom de la lutte contre la contrefaçon, des mesures susceptibles de bloquer la circulation de médicaments générique.
Cinq lignes rouges
Il faudrait indiquer au négociateur européen ce que sont nos lignes rouges.
- Ne pas toucher au dispositif actuel de responsabilité des intermédiaires techniques : ne pas les transformer en juges de la licéité des contenus au travers des « diligences appropriées » ou d’obligations nouvelles en matière de filtrage
- Ne pas en rajouter dans la pénalisation du piratage en distinguant la lutte légitime contre la contrefaçon commerciale (de marques, de biens ou d’oeuvres protégées par le droit d’auteur) et la question des pratiques de partage/piratage non lucratives (Il faut veiller a éviter les formulations délibérément ambiguës qui figuraient dans ACTA)…
- Ne pas revenir sur la question de la brevetabilité du logiciel: elle a été tranchée par un vote du Parlement européen
- N’accepter aucune mesure susceptible de bloquer la circulation de médicaments génériques
- N’accepter aucune mesure susceptible d’affaiblir le cadre européen de protection des données personnelles. La promotion et la garantie de la libre-circulation des flux de données sont une priorité affirmée des Etats-Unis. Si les discussions sur la protection des données personnelles sont exclues des négociations commerciales (un groupe de travail distinct a toutefois été établi suite aux révélations d’Edward Snowden), l’UE préserver sa marge de manœuvre en la matière.
[1] Dans leur accord avec la Corée, les Américains ont par exemple obtenu que les Parties s’efforcent de ne pas imposer ou maintenir des barrières non nécessaires aux flux d’informations transfrontières. La disposition, peu contraignante juridiquement, n’en montre pas moins l’objectif des Etats-Unis d’abaisser les barrières à la circulation des données mais également à prévenir toute nouvelle réglementation future. Si l’engagement devait à l’avenir apparaître plus ferme, la restriction des flux de données dans le but de préserver la vie privée des citoyens notamment, pourrait être compromise (tests de nécessité et de proportionnalité stricts par exemple).
Ces lignes rouges recoupent celles du Parlement Européen en 2012 sur Acta.
Elles recoupent aussi assez largement les inquiétudes qui sont à l’origine du report des projets américains PIPA et SOPA.