Le virus Ebola continue de se propager en Afrique de l’ouest. « Cette épidémie exceptionnelle exige une mobilisation sans précédent dans toutes les dimensions » ont affirmé conjointement le coordinateur de l’ONU contre Ebola l’ONU et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon l’OMS, il faudra entre 6 et 9 mois pour enrayer l’épidémie Ebola qui frappe l’Afrique de l’Ouest et surtout qu’elle ne se transforme en pandémie.
Les systèmes de santé de ces pays manquent tragiquement de personnel médical, de laboratoires mobiles, de dispensaires et de matériels de dépistage et de protection des personnels soignants. L’action sanitaire manque aussi cruellement d’informations pour identifier les personnes qui ont été en contact avec les personnes infectées, délimiter les zones où la transmission se poursuit et y installer des centres de traitement et des équipements. Selon l’OMS, « des renseignements pratiques concernant la situation sur le terrain sont essentiels à une réponse coordonnée. Pour pouvoir apporter un soutien logistique efficace, il faut savoir quels établissements ont besoin de désinfectants ou d’équipements de protection individuelle, où de nouveaux centres d’isolement doivent être construits et où les besoins en personnels de santé sont le plus grands ».
L’information et la communication jouent, en effet, un rôle essentiel dans la gestion des épidémies pour le recueil de données épidémiologiques et l’échange d’informations entre les différents acteurs notamment ceux des niveaux opérationnel et central et les autres partenaires.
Les gouvernements, les agences humanitaires et les ONG commencent à mobiliser, à cette fin, dans les pays concernés, des outils numériques et mobiles pour prendre la mesure de l’épidémie, coordonner les opérations, alerter ou informer les populations, dans les pays touchés et comprendre les mécanismes de propagation du virus.
Le déploiement de ces divers systèmes (équipement mobile des personnels de terrain, cartographie de l’épidémie) et leur coordination, pourraient apporter une contribution essentielle à la maîtrise de l’épidémie.
Équipement mobile des personnels pour tracer la maladie
Au Sierra Leone, pour contenir la maladie, le gouvernement, avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) a entrepris de « tracer » la trajectoire de l’épidémie : le « contact tracing » (suivi de contacts) consiste à identifier les cas confirmés d’Ebola et les personnes qui ont été en contact avec des personnes infectées. 300 agents de santé ont ainsi été formés pour faire du porte-à-porte, en apprendre davantage sur les personnes qui pourraient être touchées et assurer le suivi avec chaque possible contact. Ces « chercheurs de contacts » ont tous été équipés de téléphones mobiles, avec l’appui des trois opérateurs mobiles, Les données collectées sont envoyées aux chargés d’enquête au niveau du district et au groupe de travail sur Ebola coordonné par le gouvernement (UNFPA).
En Guinée, l’opérateur de téléphonie mobile, MTN Guinée avait offert en mai 2013 400 téléphones mobiles, communication téléphonique et connexion internet gratuites aux personnels de terrain.
Mobilisation de la communauté OpenStreetMap pour établir une cartographie détaillée des zones touchées
À la demande de plusieurs organisations humanitaires, la communauté OpenStreetMap a entrepris de compléter la couverture cartographique de certaines zones touchées. Les équipes de Médecins Sans Frontières et de la Croix Rouge), manquaient en effet de données claires pour localiser sur la carte les différents cas (suspectés, décédés, atteints…). OpenStreetMap a mis à la disposition de la communauté un gestionnaire de tâches HOT (Humanitarian OpenStreetMap Team) qui permet de distribuer les tâches à des centaines de contributeurs, d’assurer le suivi et de valider le travail effectué. La coordination était réalisée à l’aide d’une page wiki. Fin mars 2014, trois villes de Guinée avaient ainsi été rapidement cartographiées. L’effort a ensuite été étendu à la couverture de plusieurs zones en Sierra Leone et au Liberia : un territoire de 24 050 km2. Début août 2014, plus de 700 personnes à travers le monde avaient contribué à la numérisation à partir d’images aériennes et ajouté 4,3 millions d’objets sur la carte (Humanitarian OpenStreetMap Team)
Cartographie de l’épidémie
Au Liberia, le groupe de travail Ewer (composé d’agences gouvernementales, de membres de la société civile et d’agences onusiennes) utilise la plateforme Crisis.net (mise au point par Ushahidi, spécialiste de la cartographie de crises) pour son projet de prévention LERN (Liberia early-warning and response network). L’algorithme de Crisis.net analyse et collecte en continu les données diffusées à chaque instant par des organisations ou des médias, via les réseaux sociaux, les flux RSS. Cette carte répertorie toutes les données relatives aux cas de contamination ou de décès et permet de visualiser la progression de l’épidémie.
Il convient de noter que la plateforme collaborative Healthmap avait détecté l’épidémie du virus Ebola neuf jours avant l’annonce officielle de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) faite le 23 mars dernier. Cet outil de cartographie en ligne a été développé il y a maintenant plus de huit ans par des chercheurs de l’hôpital pour enfants de Boston, afin de détecter les épidémies naissantes. Cet outil, doté d’une capacité d’apprentissage, agrège les données issues des médias sociaux, des sites gouvernementaux, spécialisés et des organisations de santé internationales. Des cas de fièvre hémorragique en Guinée sont ainsi apparus de manière précoce sur HealthMap avant même que l’éclosion du virus Ebola soit officiellement confirmée. HealthMap tient désormais à jour une carte de l’évolution du virus Ebola. .
Des SMS pour enrayer la propagation des rumeurs
Dans les pays voisins, comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, les gouvernements se sont tournés vers les opérateurs mobiles pour informer par SMS les populations sur les dangers de la maladie, les mesures de prévention utiles pour se protéger (« En cas de fièvre brusque ou saignement, rendez-vous dans le centre de santé le plus proche ou appelez le 143 »).
On observe aussi dans ces pays, notamment au Cameroun et en Côte d’Ivoire la propagation via SMS de rumeurs du type « Cas confirmé d’Ebola au CHU de XXXX : les professionnels de la santé désertent l’hôpital »). En effet ces rumeurs, lorsqu’elles se propagent, annihilent pour partie les efforts de communication des autorités locales.
Exploitation des données issues des mobiles et Big Data pour comprendre les mécanismes de propagation
La mise en évidence par les équipes de Google d’une corrélation forte entre les requêtes liées à la grippe dans son moteur de recherche et le taux d’incidence de la maladie elle-même ont attiré l’attention des chercheurs sur l’apport des « données massives » (Big Data) à la compréhension des mécanismes de propagation des épidémies.
Au Kenya, une équipe de chercheurs a entrepris en 2013 d’exploiter les données des téléphones mobiles pour comprendre la propagation du paludisme, maladie potentiellement mortelle disséminée par la piqûre d’un moustique porteur d’un parasite. Les chercheurs ont pu accéder et traiter les données émises par 15 millions d’utilisateurs de mobiles entre 2008 et 2009 : en reliant leurs appels et leurs SMS avec les 12 000 antennes mobiles du pays, ils ont pu attribuer à chaque utilisateur une localisation principale puis ils ont reconstitué pour chacun d’eux ses déplacements à partir de ce point. Ils ont ensuite fait correspondre ces résultats avec la dissémination estimée du paludisme. L’étude avait permis d’établir que si des mouvements massifs de populations se sont produits entre les régions situées autour de la capitale du pays, Nairobi, la plupart de ces mouvements n’ont eu qu’un faible impact sur la transmission du paludisme car la majorité des personnes n’étaient pas infectées. ( MIT Technology Review).
C’est une démarche de même nature qu’a mise en œuvre l’ONG suédoise Flowminder pour analyser la propagation de la maladie en s’appuyant sur un modèle de « mobilité humaine » Les chercheurs ont obtenu d’Orange Telecom l’accès aux données (anonymisées) de géolocalisation de 150 000 abonnés sénégalais. Flowminder a ensuite croisé ce jeu de données avec un jeu de données similaire pour la Côte d’Ivoire, publié par Orange deux ans auparavant, ainsi qu’avec des données démographiques et d’autres informations issues de sources conventionnelles. Ces données ont permis à Flowminder de modéliser les déplacements de personnes à travers l’Afrique de l’Ouest. Selon Flowminder, ce croisement régional permettrait d’anticiper l’épidémie et de mieux cibler les mesures sanitaires. « Si un foyer se déclare dans d’autres pays, cela pourrait indiquer quels lieux reliés au foyer présenteraient des risques de développer un foyer à leur tour » (Technology review)
Source: ProximaMobile
Parmi les enseignements qu’il faudra tirer de cette épidémie, quand elle sera résorbée, je vois
- la mise en oeuvre d’une couverture cartographique de l’Afrique, y compris les régions reculées: on ne peut pas organiser les secours quand on ne sait pas localiser les villages et les dispensaires… Et on ne peut pas continuer à faire appel systématiquement à la communauté OpenStreetMap pour établir une cartographie détaillée des zones touchées chaque fois qu’un nouveau foyer épidemique se déclenche.
- l’équipement en terminaux mobiles des personnels de santé
- un accord avec les opérateurs mobiles pour accéder aux données mobiles (anonymisées, cela va de soi). Rendons hommage ici à Orange qui met ses données (Côte d’Ivoire et Sénégal) à disposition des chercheurs. Dans des pays « faillis » et sans système statistique, mais avec une population qui utilise couramment les mobiles, y compris comme banque et comme moyen de paiement, l’exploitation des données issues des téléphones est seul moyen de savoir ce qui se passe (évolution des revenus, déplacements des populations). C’est l’objet des programmes Global Pulse et Digital Smoke Signals.
Pour prolonger ton propos final, Maurice, j’entendais ce matin sur RFI qu’une des hypothèses avancées pour exprimer le bon taux de croissance moyen des économies africaines ces des dernières années (de l’ordre de 5 à 6 %, disaient-ils) est le développement rapide de l’infrastructure de téléphonie mobile, qui aide le pêcheur à sélectionner son point de vente, le planteur à planifier la récolte selon la disponibilité des camionneurs, etc. : c’est comme une sorte de « structuration de l’informel », si tu m’autorises cet oxymore.