Rick Davis et David Plouffe exposent les plans de bataille de McCain et Obama

Une des innovations technopolitiques les plus marquantes de la campagne présidentielle américaine  2008 est passée assez largement inaperçue. Peut être parce qu’elle provient du camp républicain.

1. C’est Rick Davis, le directeur de campagne de John McCain, qui a pris l’initiative d’exposer sur Internet le plan de bataille du sénateur de l’Arizona pour emporter les primaires. C’était en décembre dernier 2007, un mois avant le Caucus de l’Iowa.

« I am Rick Davis, McCain’s campaign manager. I want to give you a brief description of our Path to victory. Our strategy s based on an early primary win in one of the first two presidential contests that will carry us through victories in other early primary states ».

Défilent alors une série de camemberts et de courbes, de tableaux et de cartes, commentés par Rick Davis en voix off.

La video Path to victory, réalisée sur Keynote (l’equivalent Apple de Powerpoint) dure six minutes.
En six minutes, Rick Davis explique pourquoi McCain va s’imposer dans les primaires et comment il va s’y prendre. Après avoir comparé les positionnements idéologiques de Huckabee, Romney, Thompson et Giuliani, il conclut que McCain est le mieux placé pour rassembler tous les courants républicains. Le « calendrier comprimé » des primaires confère une l’importance décisives aux victoires précoces dans les primaires : celles-ci créeront une dynamique (« momentum ») et doperont la collecte de fonds : « We believe that the top finishers in Iowa and New Hampshire will have the momentum that will carry us in Michigan and South Carolina with wins». Il prévoit que Mike Huckabee devancera Mitt Romney, exprime ses doutes sur la stratégie de Giuliani centrée sur la Floride avant de conclure que celui qui arrivera en tête a l’issue des 5 premières primaire remportera le SuperTuesday.

Dans une campagne classique, le plan de bataille n’est connu que d’un cercle restreint.  Le directeur du fundraising présente des transparents  lors des briefings destinés aux grands contributeurs potentiels. On évite autant que possible les « fuites ».  Il faut aussi ruser avec la presse qui consacre plus d’énergie à commenter et décrypter les stratégies qu’à exposer les orientations des candidats. Le directeur de campagne tient des briefings réguliers  à l’intention des journalistes les plus influents.

Si Rick Davis se décide à exposer le « mode d’emploi » de la campagne, c’est qu’il a pris la mesure de trois  changements majeurs  dans la conduite des campagnes.

  • Pour s’attacher le soutien de citoyens, les amener à s’impliquer dans la campagne  ou solliciter leur soutien financier, il faut les convaincre que le candidat a une chance raisonnable de l’emporter : leur exposer le pourquoi (les atouts comparatifs) et le comment. C’est particulièrement vrai pour un candidat comme McCain qui ne peut miser sur l’adhésion spontanée de la base républicaine, plutôt tentée par Huckabee.
  • Deuxième changement : avec Internet, les campagnes changent d’échelle : dés décembre 2007, on s’attendait côté républicain comme côté démocrate à ce que la campagne mobilise des millions de citoyens.
  • Troisième changement : dans une campagne en réseau, massivement distribuée,  on attend  des volontaires qu’ils relaient les messages de la campagne, mais aussi et surtout qu’ils prennent des initiatives :  qu’ils collectent de l’argent, qu’ils publient des blogs, qu’ils recrutent d’autres partisans. Encore faut-il que leurs initiatives soient en phase avec la feuille de route stratégique. Cette capacité d’initiative prend d’autant plus d’importance avec l’accélération du tempo des campagnes.

Bref : les avantages à révéler la « feuille de route » stratégique l’emportent sur les inconvénients.

2. Six mois plus tard, le 7 juin 2008, Rick Davis met en ligne une nouvelle vidéo.

« Hello, welcome to the McCain strategy briefing. Today, we’ll talk about some of the essential elements that make up a winning campaign ».

En 15 minutes, cartes et graphiques à l’appui, Rick Davis campe la toile de fond politique de la campagne (un parti républicain affaibli comme jamais) et recense les atouts de McCain. Il divise la carte électorale en sept régions, hierarchise enjeux les plus pressants por chacune d’entre elles (economie, Irak etc…), liste les etats-champ de bataille (Ohio, Pennsylvanie), explique qu’il est nécessaie et possible d’attirer les indépendants mais aussi les démocrates mécontents, souligne l’importance de la Californie et du Sud-ouest, en raison du poids démographique de l’électorat hispanique. Et conclut : « Nous sommes compétitifs financièrement, nous avons une bonne organisation et notre candidat est prêt ».

3. Le 26 juin, David Plouffe, le directeur de campagne d’Obama se livre au même exercice. Obama vient de remporter les primaires démocrates. La campagne traverse un creux, en attendant la relance de la Convention programmée en août. Le dispositif vidéo est différent.  David Plouffe apparait, en plan américain. Il présente la carte des résultats de la présidentielle 2004 : les états qui ont voté Bush (286 grands électeurs) et Kerry (252). «Le chiffre magique pour lequel vous travaillez tous dur, pour lequel vous versez de l’argent et faites du porte à porte  est 270 ». Conserver, en premier lieu, les états qui ont voté Kerry et conquérir quelques états bleus, y compris des États traditionnellement républicains. Il évoque, sondages à l’appui, le differentiel d’enthousiasme entre   républicains et démocrates. « Seuls 45 % des partisans de McCain se disent enthousiastes, contre 81 % pour ceux d’Obama. Les partisans d’Obama se rendront pas seulement dans les bureaux de vote le 4 novembre : ils sont aussi   plus enclins à s’engager dans la campagne, à verser des petites contributions. Nous pensons que ce sera une des clés de l’élection. « 
Plouffe évoque ensuite le  « soutien populaire sans précédent », le fichier qui compte déjà  1,7 millions de donateurs, le million de personnes qui prennent part à la campagne. « Nous aimerions voir ces chiffres augmenter de sorte qu’il y ait,  dans chaque quartier,  des volontaires pour parler à leurs voisins et les convaincre de soutenir Barack Obama. « 

4. Le 17 septembre 2008, David Plouffe diffuse une nouvelle vidéo.

C’est une mise à jour de la précédente.
« Nous continuons de bénéficier d’un avantage très important. La campagne d’inscription des électeurs a bien marché. Ainsi, 375.000 nouveaux démocrates se sont enregistrés en Pennsylvanie. «Nous essayons de ne rien laisser au hasard. Nous dépensons plus d’argent pour soutenir la campagne de terrain (grassroots) qu’aucune des campagne présidentielle dans l’histoire.  Nous allons gagner cette campagne, bloc par bloc, quartier par quartier ».

Bien sûr, ces vidéos visent d’abord à convaincre et mobiliser : il s’agit d’enrôler des volontaires et de déclencher des contributions financiéres. Il reste que ces briefings et ces mémos stratégiques  transforment la relation entre l’état-major de campagne et les militants. L’état-major prend la peine de leur exposer la feuille de route statégique.  Des raisonnements, des données, des objectifs que l’on jugeait utile de porter à la connaissance des cadres politiques et des grands donateurs sont désormais mis à la disposition des militants de terrain et des citoyens de base.  Obama avait qualifié son réseau de partisans d’armée invisible. Une armée, certes, mais une armée de soldats qui connaissent le plan de bataille, dans ses grandes lignes.

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