Quand le député Sarkozy défendait farouchement l’indépendance de la télé publique

sarko-audiovisuel-libe1 Le fait pour le législateur d’ouvrir la possibilité de changements dans la direction de la télévision publique aboutit à méconnaître…. l’exigence constitutionnelle que représente l’indépendance des présidents de chaîne du secteur public ».

Qui défend avec autant d’ardeur l’indépendance des Présidents des chaînes publiques ? Nicolas Sarkozy, alors jeune député et signataire d’un recours devant le Conseil Constitutionnel.

Nous sommes en 1989. La gauche se propose de rapprocher France 2 et France 3 dans une holding, France Télévisions : la loi institue une Présidence commune, nommée par le CSA qui désignera à son tour les directeurs généraux des deux chaines. Nicolas Sarkozy et ses collègues s’indignent. Ils jugent impensable de rogner les pouvoirs de désignation du CSA. « L’indépendance des présidents de chaîne publique est évidemment une exigence de caractère constitutionnel ». Et de porter aux nues les deux piliers de l’indépendance : « d’une part, ces présidents sont nommés par une autorité indépendante : le CSA, et, d’autre part, seule cette autorité indépendante peut mettre fin à leur mandat.(…). Le législateur supprime cette garantie puisque ce n’est plus l’autorité indépendante, mais le pouvoir politique qui intervient dans un domaine où il ne peut que définir les règles, mais en aucun cas prendre des mesures ad hominem ».

Vous avez bien lu. Pour le député Sarkozy, les choses sont claires : au pouvoir politique de fixer les règles, au seul CSA celui de désigner les Présidents comme de les révoquer.

Le Conseil constitutionnel rejeta ce recours au motif central que la nomination des présidents de l’audiovisuel public continuait de relever d’une autorité indépendante : en d’autres termes, l’exigence constitutionnelle consistait à préserver ses prérogatives de nomination.

Vingt ans plus tard, Nicolas Sarkozy défend un point de vue diamétralement opposé. Parvenu à l’Elysée, il souhaite nommer lui-même les patrons de l’audiovisuel public. Peu importe le prix à payer. L’opinion publique, très majoritairement hostile à cette réforme : elle se fera une raison. L’isolement de la France en Europe (pratiquement tous nos voisins ont installé un écran entre l’exécutif et l’audiovisuel public) ? Il n’en a cure. La majorité parlementaire ? Même rétive, elle obéira.

Reste l’obstacle du Conseil constitutionnel. Lui n’a pas la même versatilité. Au contraire, il a construit au fil des ans une jurisprudence cohérente et constante. Dés 1964, il fait valoir, face au Général de Gaulle (qui vient de le nommer) que la Radiodiffusion-Télévision Française relève des libertés publiques. Il a, depuis, consacré l’émancipation de l’audiovisuel vis a vis du pouvoir politique ainsi que la nomination de ses dirigeants par une autorité indépendante.

Les juristes de l’Elysée, de Matignon, de la rue de Valois, du Sénat et de l’Assemblée vont pendant de longs mois rivaliser d’inventivité pour tenter de rendre le caprice présidentiel présentable aux yeux du Conseil Constitutionnel : avis conforme du CSA pour valider le choix présidentiel, quasi-parallélisme des formes entre la nomination et la révocation, double motivation (par le Président et par le CSA) en cas de révocation.

Arrêtons nous sur l’avis conforme du CSA. C’est le subterfuge sur lequel juristes et parlementaires UMP fondent le plus d’espoir de contourner la jurisprudence du conseil constitutionnel. Ils allèguent le plus sérieusement du monde que l’avis conforme du CSA équivaudrait à un pouvoir de codécision. Mais qui peut honnêtement soutenir qu’il se trouverait, sur 9 membres du CSA tous nommés par l’actuelle majorité, 5 voix hostiles à un choix élyséen ? On définit l’escroquerie au jugement comme des manœuvres frauduleuses visant à obtenir une décision juridictionnelle favorable…

Gageons que les Sages, et parmi eux Jacques Chirac, Valery Giscard d’Estaing, Jean-Louis Debré et Pierre Joxe, ne se laisseront pas abuser par des garde-fous artificiels et déclareront le nouveau mode de domination des présidents contraire à la constitution. Conformément à la position du député Sarkozy de 1989.

Jean-Louis Bessis, Avocat , Professeur des universités en droit audiovisuel

Maurice Ronai, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

(Tribune parue dans Libération le 26 février 2009)

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