Quand le député Sarkozy défendait farouchement l’indépendance de la télé publique

sarko-audiovisuel-libe1 Le fait pour le législateur d’ouvrir la possibilité de changements dans la direction de la télévision publique aboutit à méconnaître…. l’exigence constitutionnelle que représente l’indépendance des présidents de chaîne du secteur public ».

Qui défend avec autant d’ardeur l’indépendance des Présidents des chaînes publiques ? Nicolas Sarkozy, alors jeune député et signataire d’un recours devant le Conseil Constitutionnel.

Nous sommes en 1989. La gauche se propose de rapprocher France 2 et France 3 dans une holding, France Télévisions : la loi institue une Présidence commune, nommée par le CSA qui désignera à son tour les directeurs généraux des deux chaines. Nicolas Sarkozy et ses collègues s’indignent. Ils jugent impensable de rogner les pouvoirs de désignation du CSA. « L’indépendance des présidents de chaîne publique est évidemment une exigence de caractère constitutionnel ». Et de porter aux nues les deux piliers de l’indépendance : « d’une part, ces présidents sont nommés par une autorité indépendante : le CSA, et, d’autre part, seule cette autorité indépendante peut mettre fin à leur mandat.(…). Le législateur supprime cette garantie puisque ce n’est plus l’autorité indépendante, mais le pouvoir politique qui intervient dans un domaine où il ne peut que définir les règles, mais en aucun cas prendre des mesures ad hominem ». Lire la suite

Des sages si conservateurs

Tribune parue dans Le Monde du 22 mars 2006

Huit membres sur neuf au Conseil constitutionnel. Neuf sur neuf au Conseil supérieur de l’audiovisuel : c’est la proportion des personnalités que la droite aura nommées dans ces deux instances à la veille de la présidentielle de 2007.

Au cours de ses douze années de présidence, Jacques Chirac aura, par une prérogative discrétionnaire conjuguée notamment à celle du président du Sénat (structurellement conservateur), procédé à seize nominations au CSA et dix au Conseil constitutionnel. Au cours des cinq années Lionel Jospin, la gauche n’a eu droit qu’à deux nominations dans chacune de ces deux institutions. Si l’Elysée, Matignon et l’Assemblée nationale sont soumis au jeu de l’alternance, le Conseil constitutionnel comme le CSA obéissent à un rythme différent, renouvelés par tiers, l’un, tous les trois ans, l’autre, tous les deux ans. Ce décalage a théoriquement pour vocation de lisser les mouvements du corps électoral, voire de tempérer les alternances politiques. Cette précaution institutionnelle aurait dû garantir l’impartialité de ces deux autorités. Loin s’en faut.

On objectera que le chef de l’Etat et les présidents des deux Assemblées ne nomment pas que des militants au Conseil constitutionnel et au CSA. Que leurs membres n’endossent pas nécessairement les positions de l’autorité à laquelle ils doivent leur désignation. Que chevronnés, voire en fin de carrière, il peut même leur arriver de se montrer indépendants. Il reste qu’une autorité dont la raison d’être est l’indépendance ne saurait être monocolore. Et quelle que soit la carrure de Pierre Joxe (socialiste, membre du Conseil constitutionnel depuis février 2001), il n’est pas absolument certain qu’il puisse, à lui seul, faire contrepoids à ses huit collègues de la rue Montpensier.

Censeur du Parlement, et partant du gouvernement, le Conseil constitutionnel joue un rôle crucial dans l’élection présidentielle : il contrôle les parrainages et arbitre des contestations éventuelles. Quant au CSA, outre qu’il régente notre quotidien passé devant la télévision à raison de trois heures trente par Français et par jour, il contrôle le déroulement de la campagne présidentielle en veillant, notamment, à l’équilibre des temps d’antenne. En amont de la campagne, il aura désigné le président de France Télévisions, pour cinq ans. A défaut d’exercer son rôle de gendarme de l’audiovisuel, notamment à l’égard de groupes puissants comme TF1, il attribue les autorisations d’émettre. Cette domination criante de la droite au Conseil constitutionnel comme au CSA se prolongera bien au-delà de la présidentielle et des législatives, quelle qu’en soit l’issue.

Première anomalie : vu le caractère indélébile du Sénat, il faudrait à la gauche deux quinquennats (présidence et législature couplées) pour rétablir l’équilibre, voire se frayer une majorité, quand un seul suffit à la droite. Deuxième anomalie : puisque le président du Sénat (qui est toujours de droite) nomme trois des neuf membres des deux instances, la gauche peut y aspirer au mieux à une majorité, alors que la droite peut prétendre à l’unanimité (malgré cette dissymétrie, la gauche a cru devoir, en 1989, calquer le mode de désignation du CSA sur celui du Conseil constitutionnel). Circonstance aggravante : la réduction du mandat présidentiel. Un quinquennat procure au chef de l’Etat une ou deux nominations au Conseil constitutionnel (deux ou trois au CSA) : le septennat, lui, en autorisait deux ou trois au Conseil constitutionnel (trois ou quatre au CSA). Ajoutons des effets de calendrier qui permettront à Jacques Chirac de désigner, avant de quitter le pouvoir, les présidents de ces deux autorités.

Si la gauche revient aux affaires en 2007, elle gouvernera avec un Conseil constitutionnel et un CSA monocolores. Elle patientera jusqu’à février 2010 pour disposer de deux sièges sur neuf rue Montpensier. Si elle était reconduite en 2012, c’est en 2013 qu’elle y conquerrait une minorité significative de quatre-neuvièmes. Si elle ne l’est pas, la droite retrouve mécaniquement sa suprématie. S’agissant du CSA, les fenêtres de tir auront lieu respectivement en 2009 (deux nominations) et 2011 (deux autres). C’est ainsi en fin de mandat que la gauche y rétablirait un semblant d’équilibre.

En somme, sauf deux victoires consécutives de la gauche à la présidentielle comme aux législatives, la droite est assurée de conserver sa mainmise sur ces deux piliers de notre démocratie.

Jean-Louis Bessis et Maurice Ronai

Bonne administration de la vie publique

Tribune publiée dans le Monde du 30 décembre 1994

La « bonne administration de la justice » est une notion floue, qui permet toutes les dérives comme le montre le débat autour du désaisissement du juge Halphen.

Imaginons un justiciable en proie aux investigations de la justice. Chaque jour apporte son lot de révélations. Le juge d’instruction procède méthodiquement : il semble déterminé à aller jusqu’au bout, à remonter les filières. Son dessaisissement s’impose. Il ne faut pas trop compter sur la chancellerie : soumise à la surveillance des médias et de l’opinion, elle ne peut ou ne souhaite agir que dans l’ombre. Le code de procédure pénale a certes prévu de nombreuses voies de contestation : partialité, suspicion légitime… Le problème, c’est d’abord que le magistrat est incontestable. C’est aussi que, pour exercer un recours, il faut être « partie au procès », il faut être mis en examen. La mise en examen, c’est précisément ce que notre justiciable et ses amis souhaitent éviter. Pour notre justiciable, il ne reste dès lors qu’un biais pour parvenir au dessaisissement, celui dit de la « bonne administration de la justice ». Il appartient au seul ministère public de l’invoquer. Encore faut-il lui en fournir la matière ou le prétexte. La tentation peut être forte de fabriquer de toutes pièces une « atmosphère dessaisissante » qui incitera le juge à s’effacer ou, à défaut, qui permettra au parquet de le faire dessaisir.

L’affaire Halphen, ou plus précisément l’affaire Maréchal-Schuller, présente de nombreux traits communs avec cette fiction judiciaire. Au-delà des anomalies et bizarreries qui la jalonnent, cette affaire appelle, au moins, quatre observations.

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CNCL, gérer l’agonie

Article paru dans le Monde du 2 juillet 1988

Comme si la CNCL n’existait plus ! Le débat public sur l’audiovisuel semble focaliser sur l’institution qui lui succédera. Qui n’a pas son idée sur sa dénomination, sa composition, son mode de désignation ? Les équipes multiples qui travaillent sur ce dossier doivent déployer des trésors d’imagination pour concilier les quatre paramètres d’une bonne régulation de l’audiovisuel : indépendance, autorité, intelligence, durée. La quadrature du cercle. Mais à privilégier la dimension institutionnelle, on s’expose à faire l’impasse sur trois paradoxes :

  1. Alors qu’il est urgent de doter l’audiovisuel d’une instance de régulation légitime, il faut résister à la tentation de précipiter sa mise en place. Mais combien de temps durera l’interrègne ?
  2. Alors que la CNCL est disqualifiée, elle conserve légalement la charge de l’audiovisuel : quel usage la CNCL fera-t-elle donc de son pouvoir avant que la nouvelle instance ne voie le jour ?
  3. Quand la CNCL aura disparu, les autorisations qu’elle a octroyées lui survivront : la nouvelle institution n’aura-t-elle d’autre horizon que la charge de la maintenance d’une situation de fait accompli ?

Autant de questions, de périls, qu’il ne faudrait pas sous-estimer, mais devant lesquelles les pouvoirs publics possèdent quelques remèdes.

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La télématique pourrait entraîner une transformation du modèle de consommation, une décentralisation des activités (1978)

Cet article est paru dans le le Monde le 29 septembre 1978. Il faisait suite à une rencontre que nous avions organisée, Alain Mamou-Mani et moi même, avec Simon Nora et Alain Minc au siège des Amis de la Terre. Certains passages de ce texte conservent une certaine actualité

telematique conviviale

 

 

 

 

La seule façon de maîtriser le destin d’une société est d’identifier à temps les facteurs qui le déterminent. La télématique est désormais au cœur des choix de société. Le rapport Nora-Minc contribue à ce débat décisif. (…) Lire la suite