Une action publique ouverte à l’innovation et à la société (Extrait du Rapport TerraNova)

Un groupe de travail présidé par Jacques Sauret, ancien président de l’Agence pour le développement de l’administration électronique, s’est réuni tout au long de l’année 2013, dans le cadre de la Fondation Terra Nova.  

Le rapport vient d’être publié. 

Baptisé « L’action publique et sa modernisation : La réforme de l’Etat, mère de toutes les réformes », ce rapport dégage une perspective et un recul sur ce sujet, tout en proposant des séries de recommandations destinées à transcrire dans les actes le diagnostic effectué.

J’y retrouve l’écho d’un certain nombre de diagnostics (notamment la distinction entre démarche de rationalisation et démarche de transformation) et de propositions que j’avais formulées.

Le chapitre  « Agile:  une action publique ouverte à l’innovation et à la société » reprend un certain nombre de mes suggestions.

Agile :  une action publique ouverte à l’innovation et à la société

Une action publique moderne doit rester en phase avec les attentes et les besoins présents de la société. Pour cela, elle doit savoir s’adapter en permanence, savoir repérer et utiliser les nouveaux usages et les nouveaux outils, en s’appuyant autant que faire se peut sur la société elle-même. Mais l’action publique doit également anticiper l’avenir, et orienter les acteurs pour préparer le pays aux évolutions nécessaires et souhaitables.

Installer une culture qui favorise l’innovation

Pour les raisons évoquées précédemment, la culture administrative française est fondée sur la qualité et la minimisation de son risque (de mal faire). Par voie de conséquence, elle est plutôt conservatrice au sens où elle privilégie la reproduction de solutions déjà éprouvées. Or, comme l’a bien dit le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 20 décembre 2012, « la transition numérique impose un rythme d’évolution qui n’est à la portée que des organisations tolérantes à l’innovation et au partage de connaissances. L’adaptation de l’organisation de l’administration à la transition numérique dépasse très largement la question des fonctions supports. Elle engage, dans chaque administration, une réflexion sur la circulation et le partage de l’information, en interne et en externe, ainsi que sur sa propre capacité à s’adapter. L’enjeu est de rendre l’administration « apprenante », par la mise en place ou le renforcement de communautés de pratiques et par un effort dans la formation des agents publics de tout niveau aux enjeux et leviers numériques ».

Remettre en phase l’action publique et la société impose donc de faire entrer l’innovation dans la culture administrative. Elle est aujourd’hui inexistante, ou au mieux conçue comme un simple gadget, amusant mais marginal, comme pouvaient l’être les systèmes d’information il y a moins de vingt ans. Il convient de préciser que donner un droit de cité à l’innovation impose d’accepter le droit à l’erreur : vouloir innover sans risque de se tromper tue l’innovation.

Afin de pallier cette carence, devrait exister, au sein de chaque pôle ministériel (économie, affaires sociales, affaires étrangères, justice, intérieur etc.), une cellule ou des « laboratoires de l’innovation des politiques publiques ». Représentatifs dans leur composition de la société et de son futur (jeunes, diversité des origines, personnes venant du secteur privé, etc.) ces futurs cellules ou laboratoires seraient notamment chargés de :

  • La mise en œuvre de la politique d’ouverture des données publiques (en relation avec Etalab-SGMAP) ;
  • L’organisation de concours d’applications ;
  • L’identification et mise en œuvre, en liaison avec le SGMAP de dix initiatives favorisant le développement de services publics innovants ;
  • La veille technologique dans le champ de compétence de chaque ministère ;
  • La contribution aux procédures d’achats innovants ;
  • L’interface entre les services du ministère et les entreprises innovantes susceptibles d’accompagner les politiques du ministère.

Plus généralement, ces missions et ces laboratoires assureraient, de manière institutionnelle, une fonction « d’aiguillon » pour inciter les directions verticales de chaque ministère à repenser leurs manières de faire et adopter des démarches d’innovation ouvertes. Ils constitueraient, chacun à leur manière », un incubateur de pratiques innovantes, et fonctionneraient en réseau (séminaires, mutualisation de la veille technologique, développement d’outils et de plateformes). L’animation de ce réseau reposerait conjointement sur le SGMAP (mission Etalab) et sur le Ministère chargé de l’économie numérique, de l’innovation et des PME.

L’annonce par Marylise Lebranchu, la ministre de la réforme de l’État, de la création d’un laboratoire de l’innovation des politiques publiques est, à ce titre, bienvenue.

Des entités équivalentes devraient exister dans les grandes collectivités territoriales (conseils régionaux, conseils généraux, métropoles, communautés d’agglomération).

Recommandation n°1 : Instaurer des laboratoires de l’innovation des politiques publiques dans chaque administration (ministère, services déconcentrés, grandes collectivités publiques).

Un État qui impulse et anime

Les fonctions de l’État sont variées, mais elles peuvent être classées en quelques grandes fonctions :

  • Stratège : cette fonction consiste à définir le nouveau modèle de société (nouveaux objectifs, nouveaux droits, nouveau modèle de développement) qui orientera les politiques publiques pour les décennies à venir. Cette vision « surplombe » les autres fonctions. Si elle manque, l’action publique se limite alors à de la gestion au quotidien ou est sujette à des impulsions sans cohérence d’ensemble, peu lisibles par les acteurs et donc avec une perte importante d’efficacité (chacun hésite à s’engager de peur ou dans l’attente du prochain « coup de barre ») ;
  • Protecteur : l’action publique doit maintenir la cohésion de la société. C’est le fondement historique de l’État. Cette cohésion s’entend à la fois dans l’état « initial » de la société mais aussi dans son évolution vers le nouveau modèle défini par la fonction de stratège. Á côté des secteurs régaliens traditionnels (armée, police, justice, diplomatie), entrent dans cette catégorie la protection sociale (chômage, santé, vieillesse, handicap, exclusion, mais aussi maintenant les violences interpersonnelles, la parité, etc.), la protection économique et financière (ex : sauvetage des banques lors de la crise financière de 2008, voire la nationalisation d’industries stratégiques en difficulté) ou la protection culturelle (ex : patrimoine). C’est une fonction importante dont le périmètre est à ce jour mal défini du fait de l’absence de formalisation de la partie stratégique ;
  • Organisateur : la vie collective nécessite l’existence d’un certain nombre de réseaux favorisant et parfois conditionnant la cohésion de la société. L’organisation administrative en fait partie, mais l’action publique est également à l’œuvre dans les réseaux d’infrastructures (électricité, eau potable, eaux usées, transports, déchets, téléphonie et maintenant Internet et téléphonie mobile), dans l’organisation de la vie démocratique (élections, débat public), ou dans celle des règles de la vie sociale (ex récents : mariage pour tous, PMA). Certains aspects ont été mis en sommeil depuis plusieurs d’années, comme la planification ou la politique industrielle. Selon les objectifs de la vision stratégique, ils pourraient être réactivés ;
  • Éducateur : apparu à la fin du XIXème siècle, c’est une fonction essentielle qui mobilise une part importante et justifiée des moyens publics.

Pour remplir ces fonctions, l’État peut intervenir en utilisant différents leviers, tels que l’édiction de règles, l’emploi de la force, la prestation de services (directement ou par l’achat de prestations à des opérateurs privés), l’allocation de ressources , ou encore la redistribution. Il est également amené à évaluer, contrôler et faire de la prospective.

Mais il est un moyen d’action encore trop limité et relativement récent pour les entités publiques, historiquement plus tournées en France vers la décision unilatérale ou la tutelle : l’animation-coordination. Elle consiste à ne plus imposer en première intention, mais à faire émerger par la réunion des parties prenantes les solutions et décisions conformes aux objectifs collectifs. Il s’agit d’inciter les acteurs à analyser ensemble les données d’une question et à trouver les solutions les plus adaptées. C’est un levier moderne, efficace et adapté aux caractéristiques de la société actuelle. Mais il prend plus de temps, il nécessite un état d’esprit adapté et requiert un savoir-faire qui n’est pas encore diffusé largement au sein des services de l’État. Il permet aux secteurs publics et privés de mieux se comprendre et de travailler autrement que par injonctions ou commandes publiques. L’État peut également amener les industriels d’un secteur à concevoir ensemble certains produits ou services, la puissance publique s’engageant à « solvabiliser » l’offre ainsi créée par ses achats.

Recommandation n°2 : Renforcer les actions de l’État en matière d’impulsion/animation/coordination au détriment des actions de tutelle/réglementation.

Un accès libre et gratuit des usagers aux données payées par le contribuable

Dans les administrations et les services publics (comme dans les entreprises ou le tiers secteur), des liens étroits existent désormais entre démarches d’innovation et mobilisation des technologies numériques. Mais l’innovation ainsi permise dépasse considérablement l’aspect technique, au même titre que les réseaux sociaux ou Twitter ne peuvent être réduits à leurs composantes techniques.

L’ouverture des données publiques, axe fort qu’il convient de saluer de la MAP, est sans aucun doute un ferment essentiel d’innovation : les administrations, mais aussi les autres parties prenantes (entreprises, associations, citoyens) doivent pouvoir réutiliser simplement des données produites sur financement du contribuable pour fournir des services innovants à une palette infinie d’usagers. Les exemples étrangers (Etats-Unis, Danemark sur les données géographiques ou météorologiques) ont montré qu’au-delà de la multiplication des services proposés, l’impact économique et budgétaire était favorable, les rentrées fiscales supplémentaires liées à l’augmentation de l’activité étant supérieures aux pertes dues à l’arrêt de la vente des données par les administrations concernées.

L’ordonnance du 6 juin 2005, qui a modifié la loi « CADA » de juillet 1978 avait ouvert la voie à une réutilisation large des données publiques communicables. Mais la nouvelle rédaction par cette même ordonnance de l’article 15 de la loi a simultanément bridé cette avancée en prévoyant la possibilité pour l’administration de récupérer une redevance qui, au-delà des frais de mise à disposition, peuvent inclure les frais de collecte et de production des informations, ainsi que la possibilité de prévoir « une rémunération raisonnable de ses investissements comprenant, le cas échéant, une part au titre des droits de propriétés ». La dynamique d’ouverture était brisée dans l’œuf, et rien ne s’est passé jusqu’à la politique d’OpenData lancée en 2012 par le gouvernement actuel. Pour aider ce mouvement, l’affirmation claire dans la loi que toute information financée par le contribuable doit être mise à disposition gratuitement (les coûts de mise à disposition étant aujourd’hui réduits) serait de nature à permettre une réelle et large innovation.

La diffusion large des informations aux citoyens, comme c’est fait par exemple avec la mise en ligne systématique des résultats d’analyse des eaux destinées à la consommation humaine issue des captages publics, ou comme le fait la Grande-Bretagne pour les performances médicales des établissements de santé, permet également aux citoyens/entreprises/associations de se comporter en « utilisateurs avisés » et de décider d’actions de nature à influencer les gestionnaires du service (vote, choix d’un autre prestataire, alerte médiatique, etc.). Ce « rétro-contrôle », pour désagréable qu’il puisse être pour les administrations, n’en est pas moins un puissant levier d’amélioration du service et de lien positif entre usagers et services publics.

Le rapport  sur l’ouverture des données publiques remis au Premier ministre début novembre 2013 conforte cette analyse : 27 redevances ont rapporté 35 M€ à l’État en 2012, dont 10 M€ pour l’INSEE et autant pour l’IGN , et 4 M€ pour le ministère de l’Intérieur. Les 14 redevances les plus petites ont rapporté moins de 1,75 M€. En outre, près de 15 % des montants sont acquittés par des administrations ! Ce rapport montre que les avantages socio-économiques d’une ouverture (i.e. gratuité) des données publiques sont sans commune mesure avec les sommes récupérées : L’ouverture du Référentiel grande échelle (RGE) de l’IGN a induit un bénéfice social estimé à 114 M€, pour un manque à gagner de 6 M€ de redevances. Et la Grande-Bretagne, en avance sur ce sujet de l’ouverture des données, a estimé les bénéfices induits pour la société britannique à 7,9 Md€ pour 2010 et 2011, dont 5,8 Md€ de bénéfices sociaux.

Recommandation n°3 : Continuer et amplifier la politique d’ouverture des données publiques.

Favoriser la production croisée (« crowdsourcing »)

La production croisée (« crowdsourcing ») est une autre innovation constatée dans la société, que l’administration doit intégrer et favoriser. Le principe repose sur la transmission volontaire par tout un chacun d’informations dont il a connaissance. L’exemple le plus connu est Wikipedia, mais OpenStreetMap constitue un autre exemple dans le champ des informations géo-référencées, domaine où les potentialités de services à forte valeur ajoutée sont immenses et où les producteurs de données utiles, notamment publiques avec les collectivités territoriales, sont très nombreux.

Les administrations pourraient faire des économies très substantielles en s’appuyant sur le crowdsourcing, pour lequel l’expérience a montré que les critiques initiales sur la fiabilité des données étaient infondées : si les informations rentrées par les volontaires (individus ou entreprises) peuvent effectivement être erronées, c’est dans des proportions tout à fait limitées et avec une mise en évidence le plus souvent très rapide. L’hétérogénéité dans la « profondeur » des données est également une critique peu convaincante eu égard à la richesse collective ainsi créée. En termes de valeur ajoutée produite et de risques encourus, le crowdsourcing constitue sans conteste une piste tout à fait prometteuse dans de nombreux champs.

Recommandation n°4 : Lancer des initiatives de production collective (« crowdsourcing ») dans le domaine public en substitution ou en complément des données produites par les administrations elles-mêmes.

Une forme particulière du crowdsourcing a été testée avec succès aux Etats-Unis avec challenge.gov (http://challenge.gov). Le Gouvernement américain ou une de ses agences soumet un problème auquel il/elle est confronté(e). Les citoyens et entreprises qui le souhaitent peuvent relayer le problème autour d’eux et proposer des solutions dans un calendrier fixé au préalable. Ces défis peuvent se présenter sous formes de concours d’applications (informatiques). De même, des prix ou une reconnaissance honorifique peuvent récompenser les meilleures propositions. 260 « challenges » ont été proposés en trois ans. Les sujets vont des moyens d’aider les patients atteints d’un cancer après leur traitement aigu aux évolutions à prévoir dans la formation des jeunes étudiants en STEM (science, technology, engineering and mathematics) en passant par le développement d’applications favorisant les économies d’énergie des voitures à partir des données produites en continu (vitesse, température, consommation, etc.). La simple lecture des « challenges » ouvre des horizons, et la méthode en elle-même est porteuse d’une meilleure compréhension entre administration et public, d’un lien social renforcé et d’un débat public renouvelé.

L’équivalent du projet challenge.gov devrait être lancé sans tarder dans notre pays.

Recommandation n°5 : Lancer en France l’équivalent du projet «challenge.gov».

Source: TerraNova: l’action publique et sa modernisation : La réforme de l’Etat, mère de toutes les réformes ».

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