Aux États Unis, l’information publique, sa diffusion, sa gestion, son contrôle, son ouverture font l’objet depuis 20 ans l’objet d’un débat permanent. Les différentes branches du pouvoir exécutif (Départements d’état, du Commerce, de la Défense, les agences fédérales), le Sénat, la Chambre des Représentants, les organisations professionnelles de la presse et des industries de l’information, la communauté scientifique, les professionnels des bibliothèques et de la documentation y prennent part. Les controverses entre le Congrès et la Présidence autour de l’information publique recoupaient, pour une large part, les lignes de clivage entre les deux familles, républicaine et démocrate.
La notion de « Government information » est aux États Unis présente dans les esprits. A la fois transversale et circonscrite, elle recouvre toutes les information collectées et détenues par les administrations fédérales.
L’information publique fédérale est considérée, dans la tradition politique américaine, comme un pilier de la démocratie. Le premier amendement à la constitution prévoit que le Congrès ne peut adopter de loi restreignant la liberté d’expression. Le Congrès veille scrupuleusement à ce que les citoyens et la presse puissent accéder librement à l’information fédérale. Le Government Printing Office fut institué en 1861. Le Printing Act de 1895 définit ses missions et le place sous le contrôle du pouvoir législatif. Le Depository Library Program fut institué en 1857 : il prévoit le dépôt des documents officiels dans un certain nombre d’universités et de bibliothèques ( 1 ).
Il institue un « filet de sécurité informationnel » (Information safety net) pour le grand public. Le Freedom Act of Information (FOIA) institue en 1966 le principe de l’accès aux documents administratifs. En outre, la loi sur le Copyright place l’information fédérale dans le domaine public : la diffusion de l’information fédérale doit être aussi libre que possible et ne peut faire l’objet d’aucune restriction. Ce corpus de principes et de lois est largement antérieur à l’irruption de l’informatique. Le Congrès pèse de toute son influence pour élargir le concept classique « d’accès » à celui de « dissémination” , de diffusion active. Et pour appliquer les nouvelles technologies aux dispositifs anciens de « publication » .
Deux autres raisons expliquent l’intérêt que rencontrent ces controverses autour de la gestion de l’information publique.
En premier lieu, les relations complexes, ambivalentes qu’entretient la société américaine avec l’état fédéral, dépensier, et son administration, « paperassière ». Le New Deal, la guerre, les programmes sociaux des années 60 et 70 ont entraîné un transfert du pouvoir au profit du gouvernement fédéral. La multiplication des programmes fédéraux s’est traduite par un essor des agences fédérales et des procédures qu’elles gèrent. La réduction du « paperwork », du fardeau que les formalités font peser sur les individus et les entreprises, est à l’ordre du jour depuis vingt ans.
En second lieu, les élites politiques, économiques et administratives américaines sont profondément convaincues que leur société est parvenue a un stade de développement supérieur d’économie et de civilisation : le stade postindustriel. L’idée que les activités informationnelles prennent le relais des activités industrielles, qu’elles constituent l’avenir de l’économie était déjà au centre des travaux de la Commission de l’An 2000, en 1965. Cette notion de société de l’information imprègne depuis 20 ans les modes de raisonnement, les visions du monde, de toute une génération de responsables, transcendant les clivages politiques.
L’idée que la « Government Information » constitue une pièce centrale du système démocratique, coexiste, au sein de l’Exécutif avec trois autres préoccupations.
La préoccupation de réduction du coût de fonctionnement de l’état fédéral intègre l’information publique dans son effort de rationalisation. Le Paperwork Reduction Act (PRA), en 1980, dessine un ambitieux programme de modernisation du travail administratif et d’informatisation des agences. Il impose aussi aux agences de rationaliser la manière dont elles recueillent, exploitent et diffusent l’information. Cette gestion informationnelle prévoit que les questionnaires et les formalités administrées par les agences fédé-rales devront être approuvés par l’OMB. Pour chaque projet de formulaire, l’agence devra faire la preuve de son utilité. Elle devra évaluer en minutes le temps moyen nécessaire pour le remplir. L’OMB sera ainsi en mesure d’évaluer pour chaque agence et pour l’ensemble des agences le budget de collecte d’information : celui-ci, évalué en nombre d’heures, converti en dollars, fait ainsi l’objet d’indicateurs, publiés chaque année. Le Congrès et l’opinion peuvent ainsi juger de l’effort consenti par les agences pour réduire la « paperasserie ».
La seconde préoccupation concerne les relations entre les agences fédérales, détentrices de gisements de données, et les « industries de l’information ». L’idée selon laquelle le gouvernement ne doit pas entreprendre ce que le secteur privé peut faire est, on le sait, profondément installée dans la culture américaine : cette thématique de l’autolimitation de l’état est particulièrement nette pour tout ce qui relève de l’information.
La troisième préoccupation a perdu, depuis la fin de la Guerre Froide, beaucoup de son intensité. Elle se cristallisa, vers la fin des années 70, autour de la notion de « sécurité nationale ». Engagés dans un duel technologique avec l’Union Soviétique, les militaires et la communauté du renseignement avaient acquis la conviction que la politique américaine d’ouverture et de diffusion des informations publiques permettait aux pays du Pacte de Varsovie de piller le patrimoine technologique américain. Ils pesèrent de tout leur poids pour imposer des restrictions à cette politique. Les restrictions, esquissées sous la Présidence Reagan, suscitèrent des levées de bouclier dans la communauté scientifique, les réticences d’un Congrès à majorité démocrate ( 2 ) des inquiétudes en Europe et au Japon.
Les Présidences Reagan, Bush et Clinton se sont attelées chacune à dégager une cohérence entre le principe (démocratique) de transparence et de libre circulation de la Government Information, l’ambition (réformatrice) de « rationalisation informationnelle », la satisfaction des exigences d’une puissante industrie de l’information, en pleine croissance, soucieuse de d’accéder dans les meilleures conditions aux données publiques pour les commercialiser.
Le souci de mise en cohérence de ces exigences s’est cristallisé depuis dix ans autour d’un texte : la circulaire A130 sur la gestion des ressources fédérales d’information.
Émise par le Bureau de la Gestion et du Budget, en 1985, cette circulaire fixe une ligne de conduite pour la gestion des moyens informatiques et des ressources d’information dans les agences. Résolument transversale, elle rappelle l’ensemble des obligations informationnelles des agences (accès aux documents, gestion et accès aux archives, protection de la vie privée, sécurité informatique, diffusion auprès du public des publications gouvernementales et des données, principes de tarification) et les articule avec les objectifs (réduction du fardeau bureaucratique) et les procédures (planification, inventaire, examen périodique et révision des formalités et des ressources) du Paperwork Reduction Act.
Cette synthèse n’allait pas de soi. Élaborée en 1985, elle a été révisée en 1989, 1993 et 1996. Chacune de ses versions successives porte la trace d’une conjoncture politique et idéologique.
Le Paperwork Reduction Act de 1980 laissait une certaine latitude aux agences fédérales quant l’opportunité de diffuser elles-mêmes les informations qu’elles détiennent : la circulaire A-130 tranche, en 1985, cette ambiguïté dans un sens nettement favorable au secteur privé. Elle définit de manière restrictive les situations dans lesquelles les agences fédérales peuvent diffuser elles-mêmes : symétriquement, elle leur recommande de s’appuyer prioritairement sur des diffuseurs privés. Elles devront vérifier que les services d’information qu’elles exploitent ne dupliquent pas ceux qui sont proposés par le secteur privé, s’assurer qu’ils ne pourraient pas être assurés dans de meilleures conditions par le secteur privé.
Les agences renâclent dans l’application de ces principes.
Le Congrès, démocrate admet que les agences fédérales ne doivent pas exercer une concurrence déloyale vis à vis des opérateurs privés, mais rappelle la contribution essentielle de l’information fédérale au débat public. Il s’oppose aux projets de privatisation ou de démantèlement de certaines agences publiques. Il prône une dynamisation du dispositif fédéral de publication : Government Printing Office, Superintendent of Documents, Depository Library Program, National Technical Information Service, Consumer Information Service ( 3 )..
En 1992, la Présidence Clinton fait des autoroutes de l’information l’un des axes de son mandat. La nouvelle « infrastructure de l’information » devra permettre une reconfiguration des systèmes de santé et d’éducation, mais aussi du « gouvernement ». Clinton encourage les agences fédérales à tirer parti d’Internet, pour se « réinventer ». La révision de la circulaire A 130, en 1993, assouplit les restrictions à la dissémination d’information par les agences. De nombreuses initiatives sont prises pour faciliter la localisation de l’information publique, dispersée sur plusieurs centaines de sites. Affichant le souci de ne pas laisser se creuser une ligne de fracture entre « infopauvres » et « inforiches », il entre en résonance avec le Congrès, qui souhaite moderniser l’accès aux publications du gouvernement.
La révision du PRA, en 1995, de la circulaire a-130 en 1996, la « Réinvention du gouvernement », conduite par Al Gore, à partir d’une approche très managériale, s’inscrivent toutes dans la perspective d’un « gouvernement électronique« , « en ligne » avec les citoyens. Et son corollaire, la « démocratie électronique« .
Extrait de
Maurice Ronai Données publiques : accès, diffusion, commercialisation. Problèmes politiques et sociaux 773-774, novembre 1996. Documentation Française.
Notes :
[1] 1382 bibliothèques en 1996.
[2] En 1982, le Président Reagan émet un ordre exécutif, « Information et sécurité nationale », qui donne a l’administration une plus grande latitude en matière de classification des documents.Il soumet plusieurs fois au Congrès (qui les refuse) des amendements au Freedom Act of Information, pour faire échapper le Département de la défense ou la NASA aux obligations de transparence. et y voient une atteinte à la libre circulation des connaissances, la Chambre des Représentants s’oppose, sans succès, l’extension des pratiques du secret.
[3] L’Association des Bibliothèques dressait, dès 1983, un bilan très critique du reaganisme informationnel : » restrictions dans l’établissement des statistiques et les programmes d’information, réduction des publications gouvernementales, augmentation du prix des publications gouvernementales, programmes de classification de plus en plus stricts et de plus en plus étendus en matière de classification des documents gouvernementaux fédéraux, limitations des contacts avec la presse et obligation pour les employés de l’état à signer des contrats autorisant le gouvernement à censurer ce qu’ils publient pour le reste de leur vie, resserrement du Freedom Act of Information ».
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