Le nouveau concept stratégique de l’OTAN porte la marque des désaccords euro-américains

Article publié dans Le Débat Stratégique Nº44 -Mai 1999

L’adoption du nouveau concept stratégique devait être la grande affaire du Sommet de l’OTAN, les 23-25 avril. Fin septembre 1998, l’OTAN adressait un projet de texte aux pays membres. Sa formulation fut jugée trop ambitieuse. Les ministres optèrent pour une voie moyenne : ni réécriture radicalement nouvelle du concept adopté en 1991, ni simple mise à jour (remplacement de l’URSS par la Russie…). Les diplomaties européennes ont été très actives tout au long de l’automne, mais la discussion semblait bloquée en l’absence de contribution américaine. L’administration américaine a finalement proposé, en novembre dernier, une version offensive et extensive du concept stratégique. Pour Madelaine Albright, l’OTAN doit devenir « une force de paix du Moyen Orient jusqu’à l’Afrique centrale ». Les Européens sont alors entrés dans une logique de freinage, s’efforçant d’atténuer la raideur des formulations américaines.

Extension des missions

Certains Etats membres craignaient que l’accent mis sur les nouvelles tâches (opérations de maintien ou de rétablissement de la paix) ne fasse perdre de vue l’objectif premier de l’Alliance : la défense collective contre une menace extérieure (missions article 51). Le compromis final recense cinq tâches de sécurité fondamentales. Les trois premières figuraient, pratiquement terme à terme, dans le concept de 1991.

« Sécurité : fournir l’une des bases indispensables à un environnement de sécurité euro-atlantique stable, fondé sur le développement d’institutions démocratiques et sur l’engagement de régler les différends de manière pacifique.

Consultation : conformément aux dispositions de l’article 42 du Traité de Washington, constituer une enceinte transatlantique essentielle où les Alliés puissent se consulter sur toute question affectant leurs intérêts vitaux.

Dissuasion et défense : Exercer une fonction de dissuasion et de défense contre toute menace d’agression visant un pays quelconque de l’OTAN, conformément aux dispositions des articles 5 et 6 du Traité de Washington.

Renforcement de la sécurité et la stabilité de la région euro-atlantique :

  • Gestion des crises : se tenir prête, au cas par cas, et par consensus, conformément à l’article 7 du Traité de Washington, à contribuer à la prévention efficace des conflits et à s’engager activement dans la gestion des crises, y compris des opérations de réponse aux crises.
  • Partenariat : promouvoir de vastes relations de partenariat, de coopération et de dialogue avec d’autres pays de la région euro-atlantique, en vue d’accroître la transparence, la confiance mutuelle et la capacité d’action conjointe avec l’Alliance. »

Extension géographique

Les EU soutenaient une conception extensive des responsabilités géographiques de l’OTAN. Le concept 1999 consacre la notion de région euro-atlantique. Une zone au reste assez large si on admet qu’elle s’étend au Caucase ou à la Mer caspienne. Les Européens se sont efforcés de circonscrire l’extension géographique de l’Alliance à la seule périphérie de la région euro-atlantique.

Le mandat de l’ONU

Pour des actions militaires engagées au titre de l’article 5, la question du mandat ne se pose pas : il s’agirait de cas de légitime défense prévus par la Charte des Nations-Unies. Elle se pose pour les missions non article 5. Les EU voulaient inscrire noir sur blanc la possibilité pour l’OTAN de se passer d’un mandat formel de l’ONU, pour ne pas être tributaire d’un éventuel veto russe ou chinois3. Si les Européens jugeaient la doctrine américaine du « cas par cas » (« l’OTAN devra dans tous les cas agir en accord avec les principes de la Charte de l’ONU, tout en continuant à traiter la question (du mandat) au cas par cas »4), trop floue, plusieurs Etats membres admettaient que l’OTAN puisse agir sans mandat explicite « en cas d’urgence ». La résolution du Conseil de sécurité aurait été la règle, mais des exceptions auraient été énumérées, comme le risque d’une « catastrophe humanitaire majeure ». La France, relayée par l’Allemagne, estimait superflu et dangereux de mettre noir sur blanc les exceptions. Le texte final ne tranche pas. Il n’évoque pas la possibilité d’agir sans mandat ONU, mais ne l’exclut pas formellement.

Armes de destruction massive

Les Américains souhaitaient que l’OTAN s’assigne explicitement comme objectif la lutte contre la prolifération des missiles balistiques et des moyens de destruction massive. Les Européens étaient, pour la plupart, réservés devant l’approche américaine de la contre-prolifération. Concession américaine : le concept souligne la primauté de la diplomatie5. Les Européens ont cependant accepté le projet américain d’initiative sur les armes de destruction massive. Il s’agit, pour l’essentiel, de procédures de dialogue et d’échanges d’informations. La création d’un centre ADM confère cependant à ces échanges un caractère permanent et institutionnel.

Nouvelles menaces

Les Américains proposaient une conception très large des intérêts communs de sécurité, englobant le terrorisme, la criminalité organisée ou les mouvements de population. Les Européens se méfiaient de cette propension à faire de l’OTAN une organisation compétente sur tous les sujets et tous les continents. Le Concept 1999 reconnaît l’existence des nouveaux risques transnationaux, sans mettre en place d’instance ou de mécanisme formalisé pour y faire face6.

Doctrine nucléaire

Les Allemands et les Canadiens souhaitaient que l’OTAN révise sa doctrine nucléaire. Assez isolés, ils ont obtenu quelques retouches mineures et sont parvenus à faire inscrire dans le Communiqué du Sommet que « l’Alliance étudiera des options en matière de mesures de confiance et de sécurité, de vérification, de non-prolifération et de maîtrise des armements et de désarmement. »

Dernier point, l’IESD (voir l’article d’André Brigot) montre une dernière ambiguïté entre une IESD de type « Berlin+ », fonctionnant à l’intérieur de l’Alliance, et une IESD obtenant une réelle autonomie.

Maurice Ronai

Notes

  1. L’article 5 stipule que toute attaque armée contre l’un ou plusieurs d’entre eux survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre tous les Etats membres.
  2. L’article 4 du Traité prévoit que les Alliés se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’un d’eux, « l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée ».
  3. « Si une résolution du Conseil de sécurité est une base préférable pour l’intervention militaire, l’OTAN peut et doit agir sans une telle résolution s’il y a un consensus parmi ses membres autour de motifs légitimes pour agir ainsi… », Alexandre Vershbow.
  4. M. Albright, « Statement to the North Atlantic Council », Bruxelles, 8 décembre 1998.
  5. Article 30 du communiqué : « Le principal objectif de l’Alliance et de ses membres dans ce domaine consiste à prévenir la prolifération ou, si elle se produit, à en inverser le cours par des moyens diplomatiques. »
  6. « Les intérêts de sécurité de l’Alliance peuvent être mis en cause par d’autres risques à caractère plus général, notamment des actes relevant du terrorisme, du sabotage et du crime organisé, et par la rupture des approvisionnements en ressources vitales. De grands mouvements incontrôlés de population, résultant en particulier de conflits armés, peuvent également poser des problèmes pour la sécurité et la stabilité de l’Alliance. »

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