

Publié en janvier 2002 dans Vers la Cité numérique : Un projet politique pour la société de l’information (Note de la Fondation Jean JAURES)
Une majorité des salariés travaille d’ores et déjà sur ordinateur ou participe à des processus de production informatisés. L’utilisation d’un ordinateur à des fins professionnelles a fortement progressé au cours des dix dernières années et concernait en 1999 la moitié des personnes qui travaillent contre moins d’un tiers en 1991. La moitié des personnes qui travaillent utilise un ordinateur. Les trois quarts d’entre elles tous les jours. Près d’un tiers y passe plus de 20 heures par semaine (ce sont surtout des employés administratifs, des cadres et des ingénieurs d’entreprise). Les utilisateurs réguliers mais occasionnels sont beaucoup plus divers en termes de métiers exercés : s’y retrouvent des employés et des cadres administratifs, mais également des enseignants, des infirmiers et travailleurs sociaux, des techniciens [1].
En contribuant à déplacer l’emploi depuis les tâches répétitives, « automatisables », vers des tâches faisant plus largement appel à l’intelligence, la technologie recèle un potentiel libérateur, désaliénant. Leur apport productif repose sur la capacité d’adaptation et de décision de ceux qu’elles aident à travailler, ainsi que sur la possibilité des équipes de travail de s’organiser, de collaborer et de remonter de l’information pour influer sur l’organisation des processus.
L’enrichissement des tâches, la responsabilisation, l’accelerando des processus, la complexité des outils techniques, la confrontation avec les clients, ont aussi pour contrepartie une intensification du travail. La « nouvelle condition ouvrière » accroît le stress, la peur de n’être pas à la hauteur, de nouvelles formes d’épuisement. La séparation entre vie professionnelle et vie personnelle est de plus en plus difficile à établir. Les salariés sont de plus en plus mobilisables en dehors de leur présence physique dans les locaux de l’entreprise.
La réorganisation des entreprises se traduit aussi par une individualisation croissante du travail, une moindre solidarité collective et le développement de formes « flexibles » de travail, souvent imposées par les entreprises.
L’anticipation des transformations doit limiter les risques liés à l’éclatement de la société salariale. La mise en cause des organisations pyramidales réalisée par les NTIC et la flexibilité qu’elles offrent n’impliquent pas nécessairement la fin de la communauté de travail qu’est l’entreprise. Elles doivent plutôt impliquer de nouvelles distributions des pouvoirs, un essor de l’autonomie des salariés, du partage des savoirs, de la libération du temps de travail et de formes de co-responsabilité.
Intensification du travail et chasse aux temps morts
Daniel Cohen a exploré, dans Les nouveaux temps Modernes les effets de la polyvalence informatique sur le travail. La polyvalence permet d’agréger des tâches très différentes. Le veilleur de nuit ne se contente pas de somnoler à son guichet ; il utilise son temps pour entrer les données comptables dans l’informatique. Il doit donc maîtriser des tâches distinctes dans leur forme et dans leur complexité. Le manager, pour sa part, ne se contente plus de manager : il organise son planning, écrit ses mémos, surfe sur l’Internet à la recherche d’informations… Il rapatrie par l’informatique un certain nombre de tâches auparavant déléguées à des assistants ou des secrétaires. « La polyvalence du travail n’est possible que parce que l’une des tâches (le secrétariat) a été banalisée, voire a purement et simplement disparu ».
La polyvalence informatique tient aussi au fait que « le nouveau monde productif s’accompagne de structures hiérarchiques beaucoup plus plates que par le passé. Les employés ne sont plus soumis au contrôle de leurs chefs, mais à la régulation de programmes informatiques. Il n’y a plus un col blanc qui donne des ordres à un col bleu. Il y a un col de couleur intermédiaire, saisi d’un problème qu’il doit résoudre ». La réduction du coût de la communication produit ici la destruction d’un autre type de tâches, celles qui sont liées aux anciennes façons de transmettre les ordres. « À l’image du secrétariat, il est plus simple de dire que certaines tâches d’encadrement ont ainsi été liquidées par la révolution informatique ».
Autre principe essentiel : la chasse au temps mort. Le veilleur de nuit qui prépare la comptabilité du lendemain est emblématique d’une obsession nouvelle de l’organisation du travail : faire la chasse “aux temps morts”, ne plus payer les gens à ne rien faire…
Comme l’a montré Philippe Askenazy, la montée systématique des accidents du travail qui accompagnent les réorganisations industrielles est le symptôme qu’un nouveau “stakhanovisme”, est à l’œuvre dans le monde productif d’aujourd’hui.
À l’obsession de spécialiser encore et toujours les tâches qui fixaient l’ancien modèle productif, le nouveau régime cherche désormais à réaliser des économies en compressant le plus grand nombre possible de tâches sur la même personne.
Le travail dans la société de l’information et de la communication : un monde toxique ?
Pour expliquer cette intensification du travail, on pourrait tout d’abord dire que l’informatique rend plus facile de zapper d’une tâche à l’autre : le veilleur de nuit clique sur la souris et retrouve immédiatement le logiciel de comptabilité. Il est plus facile de faire deux choses à la fois. Plus précisément, on peut dire que l’informatique, en objectivant les procédures, fait du savoir professionnel de chacun un bien commun à l’entreprise, et non plus propre au travailleur. (…)
Ce qui rend l’intensification du travail particulièrement dure vient également du fait qu’elle n’empêche nullement les diverses tâches qui sont désormais faites par la même personne de rester elles-mêmes très spécialisées. Le cadre qui tape lui-même ses lettres n’est pas moins spécialisé que ses prédécesseurs. Il ajoute à son travail de cadre celui de sa secrétaire. On pourrait dire ainsi que la révolution informatique est à l’image de ce que fut le recul de la jachère à l’aube du XVIIIe siècle, lorsque les paysans apprirent à manier la rotation des cultures pour éviter de laisser, tous les trois ans, les terres en friches. C’est le recul de la jachère humaine qui est désormais recherché. Ce qui fait dire à The Economist que l’entreprise est aujourd’hui devenue un “monde toxique”.
Daniel Cohen “Nos temps modernes” Essai – p.. 46-51 Flammarion 2000
Réseaux, systèmes d’information, logiciels, usages : enjeux du dialogue social
Les technologies de l’information et de la communication viennent faire le pont entre les techniques de l’atelier, celles des études et de la conception, celle de la programmation et de la gestion, celles de la vente.
Les progiciels de gestion intégrée (PGI) plus connus sous leur sigle anglais ERP (Entreprise Ressource Planning) constituent la forme la plus aboutie de cette intégration des systèmes d’information. Il s’agit de systèmes informatiques qui prennent en compte et transmettent toute information entrée (une prise de commande par exemple) pour une mise à jour immédiate des différents fichiers concernés. Des centaines de progiciels pas toujours compatibles sont remplacées par un seul, qui fait système. Après avoir conquis les grands groupes industriels, les ERP s’attaquent à de nouveaux marchés : les grosses PME et les administrations au sens large (hôpitaux, collectivités locales mais aussi Fonction Publique d’Etat).
Dans cette informatique en réseau, fédératrice et intégratrice, les logiciels occupent une place centrale. La qualité et la facilité d’usage des interfaces homme-machine conditionnent très largement les conditions de travail de l’utilisateur Les activités tertiaires découvrent les problèmes de la charge mentale, un sujet bien connu dans les process industriels ou la conduite de machines automatisées.
Le code du travail prévoit une information et une consultation du comité d’entreprise, « préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel”. Il prévoit que le comité d’entreprise peut faire réaliser une étude par un cabinet externe pour évaluer l’impact du changement technologique sur l’emploi et les conditions de travail. Il précise que le Comité hygiène et conditions de travail doit être consulté en cas de projet informatique majeur.
Article L. 432-2: “ Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel. Les membres du comité reçoivent, un mois avant la réunion, des éléments d’information sur ces projets et leurs conséquences quant aux points mentionnés ci-dessus.
Lorsque l’employeur envisage de mettre en oeuvre des mutations technologiques importantes et rapides, il doit établir un plan d’adaptation.. Ce plan est transmis, pour information et consultation, au comité d’entreprise en même temps que les autres éléments d’information relatifs à l’introduction de nouvelles technologies. En outre, le comité d’entreprise est régulièrement informé et périodiquement consulté sur la mise en oeuvre de ce plan ”.
Article L. 432-2-1 “ Le comité d’entreprise est informé, préalablement à leur utilisation, sur les méthodes ou techniques d’aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de ceux-ci.
Il est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l’entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci.
Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés”.
Article L. 432-3: “ Le comité d’entreprise est informé et consulté sur les problèmes généraux concernant les conditions de travail résultant de l’organisation du travail, de la technologie, des conditions d’emploi, de l’organisation du temps de travail, des qualifications et des modes de rémunération. A cet effet, il étudie les incidences sur les conditions de travail des projets et décisions de l’employeur dans les domaines susvisés et formule des propositions. Il bénéficie du concours du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les matières relevant de la compétence de ce comité dont les avis lui sont transmis ”.
Recours à un expert en nouvelles technologies
Article L. 434-6 : “Le comité d’entreprise, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, peut, en outre, avoir recours à un expert à l’occasion de tout projet important dans les cas énumérés à l’article L432-2. Cet expert dispose des éléments d’information prévus à ce même article.”
La mise en oeuvre des technologies de l’information dans les entreprises s’opère selon une diversité de modèles, avec, d’une part, des « projets importants d’introduction des nouvelles technologies » , d’autre part, des évolutions.
Pour les « projets importants », la norme est celle du dialogue social. Le code du travail prévoit une information et une consultation du comité d’entreprise , « préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel”. Il prévoit que le comité d’entreprise peut faire réaliser une étude par un cabinet externe pour évaluer l’impact du changement technologique sur l’emploi et les conditions de travail. Il précise que le Comité hygiène et conditions de travail doit être consulté en cas de projet informatique majeur[2].
Le déploiement des technologies de l’information n’emprunte pas nécessairement la voie du « projet important » ou du « projet informatique majeur ». L’informatique d’entreprise est de plus en plus évolutive : le renouvellement partiel du parc d’ordinateurs, le rapprochement d’applications, l’introduction d’un nouveau logiciel ne donnent pas nécessairement lieu à consulter le Comité d’entreprise, bien qu’ils puissent avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel.
Automatisation du travail, automatisation de la surveillance
Aux formes traditionnelles de surveillance des salariés et au contrôle taylorien de l’assiduité et de la productivité s’ajoutent désormais des formes plus modernes. Avec l’émergence des nouvelles technologies de communication et tout particulièrement l’introduction d’internet dans l’entreprise, “c’est une véritable migration des technologies de contrôle de la périphérie jusqu’au cœur du processus de travail proprement dit qui s’opère. Progressivement, l’information dont disposent les entreprises est numérisée, quelle que soit la nature de cette information”[3]. L’automatisation du travail permet l’automatisation de la surveillance.
La surveillance des salariés résulte souvent du détournement à des fins de « surveillance » d’outils et de systèmes nécessaires à la gestion des ressources humaines et techniques de l’entreprise, ainsi qu’a sa sécurité (accès aux bâtiments, sécurité informatique et des réseaux). Pour assurer leur fonctionnement, les entreprises exploitent un certain nombre de fichiers et de bases de données (gestion des paies, gestion des ressources humaines). Elles disposent aussi d’outils pour l’administration des moyens de communication : autocommutateur, administration de réseaux. Elles entretiennent, enfin, des systèmes de sécurité : contrôle d’accès, vidéosurveillance…
Ces dispositifs ont été mis en place en fonction de finalités différentes : ils n’étaient pas, au départ, conçus pour être interconnectés. Ils étaient, de surcroît, hétérogènes : les images analogiques de vidéosurveillance ne pouvaient être analysées que par des opérateurs humains.
Ces dispositifs ont longtemps coexisté, comme autant d’archipels distincts. Le progrès technique ouvre un certain nombre de voies à l’intégration de ces différents dispositifs.
Les disques durs gardent en mémoire et permettent de retracer l’ensemble des opérations effectuées, dans le temps, par un salarié. Le jargon informatique désigne sous le nom de “prise en main à distance” la possibilité, pour l’administrateur de réseau ou la direction informatique d’afficher le contenu de disque dur de n’importe quel ordinateur sur le réseau d’entreprise. Des logiciels permettent aux employeurs de surveiller ce que font leurs salariés pendant qu’ils sont connectés : les sites Web visités, le temps passé, le type de fichiers téléchargés. Les systèmes informatiques rendent particulièrement aisée la surveillance des courriers électroniques : certains systèmes sont programmés afin de conserver automatiquement une copie de tous les messages reçus ou envoyés, d’autres conservent la copie des courriers dans leurs disques durs, même si l’utilisateur croit les avoir effacés. Avec une procédure dite de « back-up », il est possible de récupérer les courriers se trouvant stockés sur le disque dur.
La surveillance des travailleurs banalisée aux États-Unis
Selon une étude menée récemment par l’American Management Association (AMA), une société de conseil new-yorkaise, 77,7 % des entreprises contrôlent d’une façon ou d’une autre l’activité de leurs employés. Coups de téléphone, e-mails et autres activités informatiques peuvent à tout moment faire l’objet d’une inspection, tout comme les déplacements des commerciaux, suivi à l’aide de systèmes de localisation des téléphones portables. Les connexions internet sont par exemple contrôlées par 63 % des 1 600 entreposes interrogées dans le cadre de l’étude. Les communications téléphoniques font l’objet d’une surveillance dans 43 % d’entre elles tandis que 19 % vérifient la durée des sessions et l’activité sur les postes informatiques. La vidéosurveillance concerne quant à elle 38 % des sociétés. L’AMA souligne en outre que plus d’un quart d’entre elles ont licencié pour usage illicite de matériel et que les trois quarts ont été amenés à prendre des mesures disciplinaires pour les mêmes raisons.
Les systèmes de contrôle, largement informatisés, peuvent enregistrer les « traces » laissées par les salariés à chacun de leur passage (contrôles d’accès) ou à chacune de leur transaction. Le badge électronique permet de retracer le comportement de chacun au cours de la journée : l’employé présente son badge pour garer sa voiture, au contrôle à l’entrée du bâtiment, a la cantine, pour prendre l’ascenseur… Dans beaucoup de sociétés, une carte individuelle permet de compter le nombre de copies effectuées par les salariés. Avec les nouvelles photocopieuses numériques, la copie donne lieu à la création d’un fichier informatique, ce qui ouvre la voie a la mémorisation du contenu. La numérisation des images fait entrer à leur tour les images de vidéosurveillance dans le champ des données dont le traitement pourrait être délégué à des automates.
On se gardera de considérer la surveillance des salariés comme un héritage du passé, voué à dépérir dans la « nouvelle économie » du travail coopératif en réseau. Les nouvelles formes de surveillance se trouvent au croisement de deux évolutions : celle du travail et celle de la gestion des ressources humaines.
L’évolution du travail lui-même : les formes classiques de surveillance portaient sur des processus visibles. Les indicateurs de productivité étaient essentiellement quantitatifs : nombre de pièces produites ou de tâches exécutées, en combien de temps, avec quel volume de ressources …
Quand le travail se dématérialise, s’intellectualise, la surveillance se déplace vers l’observation de processus abstraits. Elle porte sur les communications, internes et externes.
C’est l’ensemble des fonctions de l’entreprise qui entre dans le champ de la surveillance : la surveillance se fait plus qualitative. Pour Hubert Bouchet, nous voyons émerger « une demande accrue de la connaissance des salariés, y compris jusqu’à celle de leur personnalité. (…). Cette demande accrue est engendrée par la transformation du travail humain et sa dématérialisation. Celle-ci se manifeste par la substitution croissante, jusqu’à devenir générale, de la matière grise à l’énergie musculaire dans l’activité professionnelle de chacun. Cela se traduit par un recul de la visibilité directe des processus, et par la rupture de la corrélation entre la durée du temps consacré à une tâche et son résultat. (…).
L’évolution de la gestion des ressources humaines.
La gestion du personnel scrutait les temps de présence, les retards, la motivation au travail …La gestion des ressources humaines devient gestion des connaissances et des compétences. Elle est plus attentive aux compétences de l’individu, à sa personnalité.
Cette gestion individualisée requiert un tout autre type d’informations : elle appelle des formes modernes de surveillance. Pour Hubert Bouchet, « cette nouvelle donne rend insuffisants les concepts qui opéraient autrefois, par exemple pour apprécier et mesurer le travail. On parlait de capacité, de savoir et de savoir faire à partir desquels étaient opérées des classifications et évaluées des qualifications fondées sur des éléments « objectifs ». On parlera désormais de potentiel, d’aptitude et de savoir être, fondateurs d’employabilité et de compétences que les seuls éléments « objectifs » acceptés jusque-là ne suffisent plus à établir. Des moyens complémentaires seront alors recherchés pour porter une appréciation sur l’individu dans la nouvelle configuration où les données relatives à la personnalité prennent une place croissante. (…). Déjà cette attention croissante à la personnalité est attestée aussi bien lors du recrutement, que tout au long de la carrière des individus. On voit bien que les techniques ici émergentes vont décupler les moyens d’approcher la connaissance des individus et offrir des occasions également décuplées de pénétrer leurs vies privées par effraction ou non.”.
Le fichage des salariés est étroitement encadré
La loi du 6 janvier 1978 impose (article 16) que tout fichier soit déclaré à la CNIL. Les personnes concernées (article 25) doivent être informées de la constitution du fichier. La collecte doit être loyale. Le salarié peut avoir accès aux informations le concernant, mais qu’il peut également les modifier. L’article 31 de cette loi précise qu »il « est interdit de mettre en mémoire informatique, sauf accord exprès de l’intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales, ou « les mœurs » des personnes « .
La loi du 31 décembre 1992 sur les libertés publiques et l’entreprise, dite “loi Aubry”, a modifié plusieurs articles du code de Travail. Les articles L121-6, L121-7 et L121-8 du code du travail protègent les salariés et les candidats à un emploi contre les atteintes à leur vie privée. Les informations demandées “doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles” (art. L121-6).
L’article L121-8 précise qu’ “aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat”. Si le non-respect de ces articles n’est assorti d’aucune sanction pénale, l’employeur qui ne consulterait pas préalablement le comité d’entreprise pour l’informer de l’existence de tels fichiers commettrait un délit d’entrave, assorti, lui, de sanctions pénales. Si ces enregistrements sont effectués à l’insu du salarié, ils n’ont aucune valeur devant les tribunaux.
Utilisation personnelle d’internet au travail
La diffusion d’Internet dans les entreprises pose des problèmes nouveaux. L’utilisation d’internet au bureau est aujourd’hui largement répandue chez les salariés. Près de quatre cadres français sur dix se connectent « tous les jours ou presque », et 12 % « deux ou trois fois par semaine ». Les salariés ont pris l’habitude d’utiliser leur poste de travail pour passer des mails personnels ou consulter des sites sans lien avec leur activité professionnelle. Comme c’est le cas pour l’usage du téléphone, une certaine tolérance semble devoir s’imposer. Cette tolérance devra cependant être mise en balance avec d’autres exigences, en premier lieu, l’exigence de sécurité, notamment pour les messages entrants (qui peuvent être porteurs de virus). Au nom de la sécurité, certaines entreprises mettent en place désormais une surveillance des courriers électroniques.
Un arrêt récent de la Cour de cassation fixe des bornes assez strictes. Un employeur avait licencié un salarié après avoir constaté, en ouvrant le disque dur du collaborateur et ouvert un fichier « personnel », que celui-ci menait une activité extra-professionnelle durant son temps de travail. La cour a donné tort à l’employeur, estimant que : « Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur. » Jean-Emmanuel Ray[4] juge que, « s’agissant d’Intranet et surtout d’Internet, le principe d’interdiction absolue posé par l’arrêt semble disproportionné : le secret de la correspondance doit en effet être mis en balance avec les intérêts vitaux de l’entreprise ». Cette jurisprudence, controversée, est loin d’épuiser la complexité du débat.
Eviter les abus, préserver l’intégrité des réseaux internes : un certain degré de surveillance est légitime. Encore faut-il déterminer la nature de cette surveillance. Il convient par exemple de distinguer un simple contrôle technique des pièces jointes dans les courriers pour “filtrer” les virus (non intrusif) de la surveillance du contenu des courriers électroniques eux-mêmes.
S’il est irréaliste de prétendre interdire tout contrôle de l’utilisation d’Internet par les salariés, encore faut-il que ce contrôle et les règles du jeu aient été préalablement négociés.
C’est aujourd’hui loin d’être le cas. Des entreprises de plus en plus nombreuses adoptent des chartes précisant les mesures de sécurité à prendre et les usages qu’il peut être fait par les salariés des nouveaux outils informatiques mis à leur disposition. L’examen de ces chartes qui sont très rarement négociées avec les représentants du personnel ou leurs syndicats, manifeste, selon la CNIL, un déséquilibre patent entre les prérogatives de l’employeur et les droits des salariés.
La CNIL avait réalisé l’an dernier une étude d’ensemble de ces questions dans le souci de suggérer aux entreprises et aux salariés utilisateurs l’adoption d’une règle du jeu équilibrée. A partir de la loi et de l’examen de la jurisprudence, la CNIL avait dégagé trois limites au pouvoir de direction de l’entreprise en matière de contrôle et de surveillance des salariés : la transparence, la proportionnalité et la discussion collective.
Communication syndicale dans l’entreprise en réseau
La réorganisation, en cours, des entreprises et des processus productifs repose sur une nouvelle génération de réseaux et de systèmes d’information : les Intranet, Ces réseaux accélèrent la circulation verticale mais aussi horizontale de l’information au sein de l’entreprise. Ils relient l’état-major et les unités opérationnelles, le siège et les établissements, les bureaux et les ateliers. Ils instaurent un lien permanent entre l’entreprise, les salariés qui travaillent à domicile ou qui sont en déplacement.
Les entreprises mettent en place ces réseaux, ces intranets, pour accroître leur efficacité productive, leur réactivité. Elles utilisent de plus en plus ces réseaux pour diffuser leurs messages auprès des salariés.
Les conditions dans lesquelles ces canaux de communication peuvent être utilisés par les syndicats pour communiquer avec les syndiqués et les salariés, plus généralement, sont loin d’être codifiées.
Le code du travail consacre un certain nombre de droits, mais il les formule en des termes qui renvoient à l’univers du papier (tract, affichage) ou a des architectures matérielles : droit à un local, emplacement physique du panneau syndical…
Article L. 412-8: « L’affichage des communications syndicales s’effectue librement sur des panneaux réservés à cet usage et distincts de ceux qui sont affectés aux communications des délégués du personnel et du comité d’entreprise. Un exemplaire de ces communications syndicales est transmis au chef d’entreprise, simultanément à l’affichage.
Les panneaux sont mis à la disposition de chaque section syndicale suivant des modalités fixées par accord avec le chef d’entreprise. Les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs de l’entreprise dans l’enceinte de celle-ci aux heures d’entrée et de sortie du travail.
Le contenu de ces affiches, publications et tracts est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse.
Dans les entreprises de travail temporaire, les communications syndicales portées sur le panneau d’affichage doivent être remises aux salariés temporaires en mission ou adressées par voie postale, aux frais de l’entrepreneur de travail temporaire, au moins une fois par mois ”.
Ces droits se transposent la sphère des échanges électroniques : le tract se virtualise en courrier électronique ; le panneau syndical se dématérialise en site syndical. Le simple jeu raisonnement par analogie (tract=mail, affiche=site) n’épuise cependant pas la question. La distribution du tract traditionnel était strictement codifiée : dans l’enceinte de l’entreprise et “aux heures d’entrée et de sortie” ; cette règle perd toute signification pour un tract virtuel. De nombreux ajustements devront être négociés, pour tenir compte de la spécificité des communications électroniques mais aussi d’exigences légitimes des employeurs, notamment les précautions techniques liées a la sécurité ou au fonctionnement des réseaux.
Plusieurs grandes entreprises ont négocié des accords avec les organisations syndicales afin d’accueillir le site du syndicat sur l’intranet de l’entreprise ou pour codifier l’envoi de mails aux salariés. Ces chartes semblent singulièrement restrictives.
Le secteur public a pris, dans ce domaine, une nette avance. La commission de modernisation des services publics (qui réunit administrations, organisations syndicales et usagers) a adopté des recommandations interministérielles sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les organisations syndicales. Les chartes sont maintenant en cours de discussion dans la plupart des ministères.
C’est toute la communication syndicale qui va progressivement se réagencer autour d’internet. La banalisation d’Internet et le renouvellement générationnel des cadres syndicaux vont dans le même sens.
Des aménagements du Code du Travail seront s’avéreront peut être nécessaires. C’est ce que suggèrent plusieurs confédérations syndicales.
L’équipement informatique des salariés par les entreprises
Les entreprises se préoccupent de plus en plus d’améliorer la “culture informatique” de leurs salariés. Une des voies utilisées consiste à encourager les salariés à acquérir un ordinateur à domicile.
Cette pratique se répand dans les grands groupes américains : l’employeur prend à sa charge tout ou partie l’équipement informatique et le raccordement Internet des salariés. Ford (300 000 employés à travers le monde), Delta Airlines (75 000 employés) Intel (70 000 employés) ont développé ce type de programmes.
Le groupe Vivendi avait envisagé, début 2001, un programme de ce type pour équiper et connecter ses 170 000 salariés. La fiscalité (qui considère l’équipement des salariés comme un avantage en nature) était dissuasive pour ce type d’initiatives. Le Parlement a adopté (article 3 de la loi de finances 2000) des « mesures favorisant le don par les entreprises à leurs salariés de matériel informatiques”. Le salarié, sous réserve d’un accord d’entreprise, et dans la limite d’un plafond de 10 000 F est désormais totalement exonéré de prélèvements sur la valeur d’un ordinateur neuf (logiciels inclus). L’entreprise doit réintégrer les charges liées à cette opération dans le bénéfice imposable jusqu’en 2003. Le seuil de 10 000 F a été calculé pour couvrir les coûts d’une configuration de base (micro-ordinateur, logiciels de base, imprimante et internet)[5].
Il convient de ne pas minimiser la contribution que les entreprises peuvent apporter à la réduction des inégalités numériques. Ni les attentes des salariés. Selon une enquête menée le compte de la société PeoplePC, près de la moitié des salariés français nn’ont pas accès a un micro-ordinateur et à Internet, ni a domicile, ni au travail. 32 % d’entre eux (soit près de 8 millions) seraient prêts à apporter leur contribution pour bénéficier d’un micro-ordinateur relié à Internet, fourni par leur entreprise. Enfin, plus de 60 % (soit plus de 5 millions) seraient prêts à payer jusqu’à 100 F chaque mois. Les personnes interrogées invoquent l’interêt d’acquérir de nouvelles compétences pour leur travail et leur carrière, le développement personnel, l’apprentissage familial de l’informatique, un mode de travail plus flexible.
France Telecom, EDF, La Poste, Air France, la SNCF et la Société Générale travaillent à la mise en place de tels programmes. La conclusion d’un accord avec les syndicats s’avere diffficile, ceux ci redoutant que ces programmes n’encouragent un peu plus encore la confusion entre vie privée et vie professionnelle. Un des points les plus sensibles, lors de la négociation des accords d’entreprise, porte sur la nature des logiciels dont seront équipés les ordinateurs. Des améliorations sur les aspects proprement fiscaux peuvent encore être apportées.
Télétravail, travail nomade et à distance
L’un des effets des TIC est la possibilité de travailler à distance du lieu où est attendu le résultat du travail. Le débat mêle espoirs (décongestion des villes, accroissement de l’efficacité des organisations en raison de la baisse des dépenses immobilières et de gains de productivité, amélioration du bien-être des salariés…) et craintes : retour du travail à domicile, inflexion marchande du contrat de travail, effacement de la frontière entre vie professionnelle et vie privée…. [6]
Les chiffres les plus contradictoires circulent sur l’ampleur du phénmenes. En 1999, il y avait 6,05 millions de télé-travailleurs permanents en Europe, contre 16,5 M aux Etats Unis. [7]La situation en Europe présente de grands écart. La Finlande, la Suède et les Pays bas connaitraient dejà un taux de 11 % de télé-travailleurs. La Grande Bretagne et Allemagne seraient dans une position intermédiaire (avec 4 %). Italie, France et Espagne auraient des taux proches de 2 %.
L’outil informatique n’a pas induit, jusqu’à aujourd’hui, un fort développement du travail à domicile ou du télétravail, comme on avait pu l’annoncer il y a quelques années. La plupart des salaries travaillant sur ordinateur ont, de façon tout à fait classique, un lieu de travail fixe qui n’est pas leur domicile. Les praticiens intensifs de l’ordinateur sont même les plus sédentaires : plus de 80 % de ceux qui consacrent plus de 20 heures par semaine au travail sur un écran travaillent toujours ou presque sur le même lieu. Les autres actifs, ceux qui partagent leur temps de travail entre plusieurs lieux, ou travaillent à domicile, ou n’ont pas de lieu de travail déterminé, occupent pour la plupart des emplois faisant au contraire peu appel à l’ordinateur : ouvriers du bâtiment, agriculteurs, artisans et commerçants, personnels de service, chauffeurs, représentants et aussi enseignants.
Il est indéniable, cependant, que l’ordinateur facilite la mobilité pour certains types d’emploi : cadres, professions intermédiaires du privé (ingénieurs, informaticiens, consultants, responsables commerciaux, visiteurs médicaux), mais aussi commerçants, professions libérales (médecins), employés (employés de banque, fonctionnaires de police ou de gendarmerie). Dans certains métiers, où temps professionnel et temps privé étaient déjà par nature peu dissociés, l’émergence de l’ordinateur accompagne naturellement le partage du travail entre lieu professionnel et domicile : c’est le cas pour les enseignants, les artistes, les artisans et commerçants, les chefs d’entreprises.
Le débat sur l’ampleur du phénomène comme celui sur les prévisions est confus car sous l’appellation de télétravail sont rangés des phénomènes fort différents.
On peut ainsi distinguer trois phénomènes [8]:
- L’exercice au moyen des TIC d’un travail salarié à domicile ou dans un centre spécialisé (télé-centre) distant du lieu de travail collectif antérieur. Ce phénomène fait aujourd’hui l’objet d’un certain nombre d’expérimentations, mais il reste marginal et limité à certaines professions.
- Inclusion dans le télétravail de l’ensemble des unités ou individus qui se servent des TIC pour se coordonner à distance entre des localisations qui sont déjà distinctes. C’est le cas des salariés nomades qui par métier ou fonction exercent leur travail à distance de leur établissement. Les TIC ne créent pas leur mobilité (un VRP était VRP avant l’invention du modem) mais accroît l’efficacité de cette mobilité et parfois change même la nature du travail (cas des chauffeurs routiers). C’est aussi le cas des travailleurs sédentaires qui coopèrent entre des localisations distantes.
- Encore plus extensive, la troisième catégorie du télétravail nous fait sortir du cadre du travail salarié si l’on y inclut les télé-services, c’est-à-dire le développement de prestations rendues à distance dans le cadre d’un rapport contractuel marchand. On doit à ce titre distinguer les téléservices du télétravail, sauf lorsque’est en jeu la possibilité d’une transformation du travail à distance en téléservice. En effet, les TIC sont parfois utilisées comme moyen de conversion d’un salarié en travailleur indépendant : cette conversion pose des problèmes lorsqu’elle est ambiguë, c’est-à-dire lorsqu’une relation de subordination est maintenue de fait sous la relation marchande.
Télétravail et développement durable
Notre pays va devoir s’attaquer dans les prochaines années ou décennies (…) à deux problèmes interconnectés :
- notre niveau et structure de consommation énergétique
- la congestion des villes
Avec la dématérialisation de l’information, et 70 % de l’activité marchande qui s’exerce dans les services (sans parler de l’administration), il semblerait qu’il y ait un gisement significatif pour du télétravail, qui, en tant qu’outil d’aménagement du territoire pris à grande échelle (il convient d’entendre par “grande échelle” une action dont le budget est du même ordre de grandeur que celui des routes), pourrait contribuer à :
- diminuer de manière très significative les déplacements domicile-travail + professionnels (50 % des déplacements en véhicule particulier en tout),
- diminuer les surfaces de bureaux (dont les bureaux chauffés),
- diminuer corrélativement les surfaces de parkings,
- diminuer corrélativement notre consommation énergétique,
- diminuer le stress et à augmenter le confort de vie,
- créer des bassins d’emploi de plus petite taille (ce qui contribue aussi à diminuer les déplacements) (…)
Les modalités d’encouragement du télétravail ne devront pas avoir pour conséquence de servir d’accélérateur à des évolutions qui nous amènent à des impasses (comme augmenter la demande pour du transport par exemple), mais au contraire devront permettre une organisation du travail plus économe en énergie et en consommation de ressources rares (dont…le foncier).
Si le travailleur à domicile peut éventuellement répondre à cette aspiration de “croissance sobre”, le travailleur nomade n’y répond probablement pas dans tous les cas de figure : remplacer le bureau par un avion, une voiture, ou même, dans certains cas de figure (dans les pays qui font toute leur électricité au charbon), un train, n’offre probablement pas un bon bilan sur le plan énergétique.
“Encourager le télétravail” n’a donc pas du tout le même impact selon que le télétravail favorisé est celui du salarié basé à Sophia qui prend l’avion une fois par semaine pour aller dans son bureau à Paris (impact négatif), celui du travailleur nomade qui passe ses journées en voiture avec un téléphone portable, ou celui du banlieusard de Savigny sur Orge qui se débrouille pour rester chez lui deux jours par semaine plutôt que d’aller en voiture à son bureau de La Défense (impact vraisemblablement positif)..
Secrétariat d’état à l’industrie Note de synthèse sur le télétravail
Le télétravail présente de nombreux avantages collectifs. L’accent a longtemps été placé , en France, sur les retombées en termes d’aménagement du territoire. On commence a prendre la mesure de la contribution du télétravail à la décongestion des villes et à la réduction de la consommation énergétique.
Le télétravail présente donc de nombreux attraits pour les salariés (autonomie, gestion des horaires), largement contrebalancés par l’intrusion de l’entreprise dans la sphère privée ou l’isolement. Comme pour le temps partiel, le travail nomade n’a pas le même sens selon qu’il est choisi ou subi. Ce sont souvent les Directions des ressources humaines qui hesitent à officialiser ces pratiques, par peur d’être débordés par les demandes.
Un certain nombre de garanties devront être apportées aux télé-travailleurs :
- Certains problèmes relèvent d’aménagements techniques comme la question de savoir si la législation sur les accidents du travail est en mesure de couvrir les accidents professionnels à domicile.
- D’autres sont plus fondamentaux dans la mesure où ils troublent des éléments constitutifs du contrat de travail salarié : rémunération à la tâche et non plus au temps, la difficulté à délimiter la frontière physique du temps de travail, la capacité qui peut être laissée au salarié d’organiser son travail comme il l’entend et plus généralement l’ambiguïté d’une relation salariale qui se tient à mi-chemin de la relation contractuelle
- D’autres, enfin, concernent la couverture sociale et la représentation collective [9]
La Commission Européenne (après avoir envisagé une directive) encourage la négociation d’un accord entre partenaires sociaux sur le télétravail. L’Union International Network et et Eurocommerce ont signé le 26 avril 2001 un accord cadre européen sur le télétravail dans le commerce. Après deux ans de négociation, les parties signataires se sont mises d’accord sur des principes fondamentaux : la définition du télétravail, l’information et consultation des représentants du personnel pour la mise en place du télétravail, les droits du télétravailleur, l’équipement des locaux, la représentation syndicale, le remboursement des frais et l’obligation de confidentialité.
Un droit du travail obsolète ?
On ne fait pas fonctionner une entreprise du tertiaire et surtout du quaternaire (recherche, SSII, télécommunications) sur le type d’organisation taylorien visant à discipliner les bras de dizaines de milliers d’exécutants. Les neurones ne se mobilisent pas sur la peur de sanctions. Base ancestrale du calcul de la rémunération, la notion de “ travail effectif, à l’exclusion de l’habillage et du casse-croûte ” (second alinéa de l’article L.212-4 du Code du Travail) semble perdre tout sens. D’où la définition nettement élargie donnée par la loi Aubry I du 13 juin 1998 : “ le temps à disposition de l’entreprise ”… qui pose nombre de questions à l’époque des portables, de la multiplication des trajets et autres “ obligations professionnelles ”. Mais aussi la sortie des cadres dirigeants de la protection relative à la durée du travail par la loi Aubry II de fin 1999. Les modèles anciens craquent.
Pour certains, ces évolutions très médiatisées évoquent une mort annoncée : celle du droit du travail, créé pour protéger le travailleur subordonné. La chaîne céderait la place à la ruche : de multiples travailleurs indépendants du monde entier apportent via Internet leur savoir-faire à la micro-entreprise (si possible de la Silicon Valley), mille fois plus réactive que le diplodocus d’hier dont on connaît le sort funeste. A charge pour eux d’assurer – outre leur protection sociale – la continuité de leur activité à travers une préoccupation permanente de maintenance professionnelle. Cette liberté aux parfums néo-californiens chère à nos experts ne doit pas faire oublier la réalité : si “ Singer ” libérait la ménagère, les nouvelles technologies restent ambivalentes.
Si distance était hier synonyme d’indépendance, tel n’est plus toujours le cas aujourd’hui. Un téléphone portable peut être tout autant un instrument essentiel de liberté qu’une laisse électronique permettant une subordination renforcée à la fois dans le temps et dans l’espace.
Les “ télé-acteurs ” parfois sur-diplômés répondant sur les lignes hotlines à des clients au bord de la crise de nerfs ont-ils des conditions de travail très différentes de celles d’un “ OS intellectuel ” ?
Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et à l’IEP de Paris
Cybersurveillance, informatique et conditions de travail, internet au bureau, travail nomade…. Autant d’enjeux qui se frayent une voie dans le dialogue social. Ces questions sont négociées au niveau de l’entreprise, mais il manque souvent un cadre général, un socle de principes qui pourraient ^étre négociés au niveau des branches ou au niveau national. Le MEDEF n’a pas jugé utile d’inscrire ces questions parmi les chantiers de la Refondation sociale. Les confédérations syndicales intègrent de plus en plus cette dimension dans leur réflexion. De principes nouveaux se cherchent, comme le droit à l’indisponibilité ou le droit à la déconnexion. Des adaptations du code du travail seront nécessaires.
[1] « L’ordinateur divise encore les mondes professionnels Sylvie Dumartin, Insee, 1999
[2] Selon la jurisprudence, un projet important d’introduction de nouvelles technologies présente les caractéristiques suivantes :
- le “projet” suppose une élaboration déjà complexe mais encore amendable,
- l’“importance” s’apprécie au regard du coût global, du nombre de salariés concernés et des conséquences pour leurs conditions d’emploi et de travail,
- la “nouvelle technologie” est évaluée dans le périmètre où elle fait irruption et au regard des modifications qu’elle apporte dans l’organisation du travail et les conditions de travail résultantes.
[3] Hubert Bouchet, Vice-president délégué de la CNIL, La cybersurveillance des salariés dans l’entreprise, CNIL, avril 2001.
[4] Jean-Emmanuel Ray : Le Droit du travail à l’épreuve des NTIC (ed. Liaisons, novembre 2001.
[5] Le rapporteur de la loi de Finances, Didier Migaud, explique d’abord dans son rapport qu’il s’agit d’éviter que « la générosité par forcément désintéressée de l’employeur » ne conduise des salariés à acquitter des impôts supplémentaires. Justifié par le désir de résorber le « fossé numérique » entre la France et les principaux pays de l’OCDE, le dispositif temporaire permettra également de jouer « sur la complémentarité des utilisations ludiques, privées ou professionnelles des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment d’Internet ».
[6] Selon l’ECATT, deux tiers de la population pourrait télétravailler un jour par semaine au moins[6] . Selon l’Observatoire des stratégies industrielles, près de la moitié du temps travaillé chaque année pourrait être effectué à distance.
[7] http://www.telecommute.org/twa2000/research_results_summary.shtml)
[8] Alain Rallet et Eric Brousseau : Synthèse des travaux du groupe de travail « TIC et performances économiques », CGP, 1998
[9] Alain Rallet et Eric Brousseau : Synthèse des travaux du groupe de travail « TIC et performances économiques », CGP, 1998