D’Obama à Trump, de Ben Laden à Al-Baghdadi : Essai d’intericonicité

Cette photo a été postée sur Twitter quelques heures après l’assaut contre la résidence d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le  2 mai 2011.

Le visage fermé, Donald Trump assiste, en direct, dans la « situation room », à l’assaut mené par ses forces spéciales contre le chef de Daech. Il est entouré de son vice-président Mike Pence, du conseiller à la sécurité nationale Robert O’Brien, du secrétaire à la Défense Mark Esper, du chef d’état-major des armées Mark A. Milley, et du responsable des opérations de l’état-major des armées, le général Marcus Evans.

A peine publiée par Dan Savino, l’assistant de Donald Trump, cette photo est immédiatement référée à la photo désormais iconique, P050111PS-0210 d’Obama et son entourage suivant en direct sur des écrans de télévision l’assaut donné contre la forteresse où s’était réfugié Ben Laden à Abbottabad.

C’est un cas typique de cet  effet de « déjà-vu » que Clement Cheroux avait caractérisé comme relevant de la diplopie (« trouble fonctionnel de la vision qui se traduit par la perception de deux images pour un seul objet ». Voir double, en somme) dans l’article passionnant qu’il avait consacré aux photograohies et aux  unes du 11-septembre dans la presse : Le déjà-vu du 11-Septembre: Essai d’intericonicité.

Le petit jeu des comparaisons entre la photo de 2011 et celle de 2019  ont  très vite donné lieu à trois types de commentaires.

Une réplique de la « Situation Room » d’Obama

D’abord pour observer que Trump « tient » enfin sa réplique de l’iconique « Situation Room » d’Obama : avec l’élimination de Al-Baghdadi, il réitère le succès politique d’Obama et redouble ce succès par sa consécration visuelle.

En fait, Trump avait déjà entrepris en 2017 de réitérer la Situation Room de 2011 : le 6 avril 2017, en pleine tourmente politique, Trump avait ordonné le bombardement d’une base aérienne en Syrie après l’usage de gaz par le régime de Bachar.

Ce  6 avril, il avait improvisé une « war room » dans une pièce de sa villa de Mar-a-Lago, en Floride, pour suivre en direct le tir de 59 missiles Tomahawk en Syrie.

Même dispositif. Tous les regards tournés vers l’écran. Pratiquement le même nombre de participants (une seule femme). Costumes et cravates ont remplacé les tenues décontractées de la Situation Room d’Obama de 2011. Trump est en retrait (comme Obama). Le Guardian scrute la photo pour évaluer les influences respectives de Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, et de Steve Bannon. Le premier domine l’assemblée par sa taille et son positionnement au centre de la table, alors que son ennemi, Steve Bannon, est au fond, presque à l’écart. Alors que la Situation Room mêlait civils et militaires, il n’y a dans cette war room improvisée ni généraux ni uniforme (Ils sont restés à Washington).

Certains analystes avaient alors fait valoir que cette « war room » bricolée à la hâte dans la résidence privée du Président ne bénéficiait pas des mêmes protocoles de sécurité que celle de la Maison-Blanche.

La situation Room de Trump : une mise en scène

Toute une série de commentaires portent sur le fait que la photo de Trump dans la Situation Room aurait en réalité été « posée », « mise en scène » (staged), alors que celle d’Obama, 8 ans plus tôt, avait été « prise sur le vif ».

Pete Souza ex-photographe d’Obama et auteur du cliché) observe, en se fondant sur les métadonnées, que la photo a été prise à 17 h 05, l’assaut ayant été donné à 15 h 30. « Laquelle de ces photos semble réelle et laquelle semble mise en scène ? » interroge David Axelrod, éditorialiste politique pour CNN et ancien conseiller de Barack Obama. Outre le timing, il y a l’orientation des regards (Donald Trump et plusieurs autres regardent l’objectif du photographe et non l’écran diffusant en direct le raid militaire) et l’expression de malaise sur les visages des participants.

Obama, Trump: deux styles présidentiels

Deux images, souligne  le New York Times « l’une remplie de tension et d’action, l’autre statique et posée. Prises par les photographes officiels, ces photographies soulignent les styles radicalement différents des présidents qui ont supervisé les missions ».

Alors que Barack Obama est en retrait, vêtu d’une simple veste et d’un polo, Donald Trump est placé au centre, en costume et cravate, avec ses généraux disposés en cercle autour de lui, dans une implacable chaîne hiérarchique. Placé parfaitement sous le sceau officiel du président des États-Unis. Alors que l’entourage d’Obama portait des tenues presque débraillées, celui de Trump est en tenue de bureau ou en uniforme.

La tension est palpable sur la photo de 2011 : les principaux responsables de la sécurité nationale du pays sont tellement absorbés par l’assaut qui se déroule à 11 000 km que personne dans la salle ne semble s’apercevoir le photographe qui documente l’événement.

« Ils ne savaient pas encore, à ce moment-là, quand l’image a été prise, qu’ils avaient eu Ben Laden », se souvient Pete Souza, qui a pris la photo à 16 h 05.

Rien de tel pour la version 2019, statique, et dont on ne sait pas exactement quand elle a été prise : pendant ou après l’assaut. Capturée par la photographe officielle de la Maison-Blanche Shealah Craighead, l’image n’a pas été horodatée. Si les métadonnées disent juste, l’opération est terminée et Trump en connaît le dénouement.

Alors que Pete Souza circulait et photographiait en toute liberté à la Maison-Blanche, M. Trump ne permet pas à Shealah  Craighead, de photographier les coulisses du travail présidentiel. Il décide du moment et invite alors la photographe dans le but précis de prendre une photo officielle.

Une photo trop plate pour inspirer la parodie

Le cliché P050111PS-0210 a donné lieu, dans les heures qui ont suivi, à toute une série de détournements. Retravaillées sous Photoshop, ces parodies ajoutaient toute une série de personnages ou d’éléments qui brisaient le côté hautement dramatique de la scène.

Selon Anne Lesme (Aix-Marseille Université), « la version qui laisse voir des acteurs remplacés par des super-héros est la plus diffusée . Obama y apparaît en Captain America alors que le Brigadier-général Brad Webb revêt les traits et l’habit de Superman et qu’Hillary Clinton incarne une Wonder Woman aux traits fatigués. Le résident américain est toujours aux commandes de la situation lorsqu’il actionne une manette de Play-Station dans Obama – the gamer, le confortant dans sa réputation de nerd, un Président féru de nouvelles technologies et lui-même joueur de jeux vidéo ».

Rien de tel, semble-t-il pour la réplique de 2019. Sauf celle-ci, repérée par Daniel Schneidermann.

Le fouillis de câbles, dont plusieurs bizarrement débranchés, avait dés la publication de la photo, suscité la curiosité et l’ironie de nombreux internautes.

Une mémoire visuelle entretenue par les fictions

Dans la saison 5 de House of Cards, en 2017, la présidente Claire Underwood et son cabinet mènent une opération militaire pour exécuter Ahmed Al Ahmadi, le chef de l’ICO (Islamic Caliphate Organization), étroitement inspirée de Daesch.

L’angle de la prise de vue, la disposition des acteurs dans la scène, leurs vêtements et même la disposition des ordinateurs et des gobelets sur la table imitent directement la photo de Souza.. (« We got him. We got him », annonce-elle, peu de temps après, dans une allocution télévisée, calquée sur celle d’Obama, en 2011.

Homeland avait déjà reproduit un dispositif du même type dans dans l’épisode Beirut Is Back en octobre 2012 avec la tentative d’assassinat d’Abu Nazir (un avatar de ben Laden), filmée et suivie en direct dans la Situation Room de la Maison Blanche.

Voir aussi : P050111PS-0210 : la Situation Room. Retour sur une photo, ses détournements et ses effets de diplopie

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