Si ce n’est pas une guerre, ça y ressemble

 « Nous sommes en guerre ». Ce mot « guerre », réitéré six fois le 16 mars par le Président de la République, a suscité pas mal de commentaires. Ironiques. Ou indignés : « ce n’est pas plus une guerre que la guerre contre le terrorisme ». « Nous ne voulons pas être gouvernés comme en temps de guerre, mais comme en temps de pandémie »

C’est vrai …Nous ne sommes pas en guerre

Nous ne sommes pas en guerre au sens où il n’y a pas d’ennemi : le Covid19 n’est pas un acteur stratégique. Il n’est pas doué de volonté et il ne réagit pas à nos actions. On ne signe pas la paix avec un virus.

Il reste que vu de l’Élysée ou de Matignon, cela ressemble pas mal à une guerre. Le Président de la République et le Premier ministre savent que chaque décision ou non-décision aura un prix élevé. En vies humaines (par milliers), en dizaines et centaines de milliards (300 milliards pour le soutien de l’économie).`

« Quoi qu’il coûte » : c’est une formule de guerre.

Je vois une autre analogie : le brouillard de la guerre. Malgré les modèles de l’Imperial College, les décideurs ultimes ne savent pas beaucoup mieux que nous oùùnous  suonen sommes, ni où en est la propagation du virus.

Dans les hôpitaux, on va dans quelques semaines peut-être basculer dans le tri thérapeutique. Comme à Bergame. C’est la médecine de guerre.

Il est rare que le destin d’un aussi grand nombre de personnes dépende de décisions prises par un aussi petit nombre de personnes. Et du moment ou ils les prennent : à temps, à contretemps ou trop tard. Cette expérience-là, voir notre destin dépendre de la décision des chefs et de l’état-major, que nous vivons tous à des degrés divers, c’est quand même un peu (et même beaucoup) celle de la guerre.

Il y a ceux qui sont en première ligne, sur le front. Et ceux de l’arrière : les confinés. Autant dire : les planqués.

Il frappant de voir comment très vite les personnels soignants se sont approprié la rhétorique guerrière présidentielle. Et comment elle s’est retournée contre les gouvernants.

« On nous envoie au front tous nus »

« les médecins vont au front à poil »

« Les soignants aimeraient bien être amenés au front avec des armes, et nous, nos armes c’est ça »

« Nous n’enverrons pas nos infirmières au front sans armes »

« On nous envoie au front la fleur au fusil »

« Nous sommes mêmes en première ligne, mais sans armes »

« Envoyer des soldats au front sans casques et sans fusils ce n’est pas possible »

 Ces infirmières, ces médecins de ville ou d’hôpitaux, ont le sentiment de livrer une bataille, d’exposer leur vie. Et mobilisent un imaginaire de guerre : front, première ligne, armes, casques.

Jerôme Fourquet évoque, a leur propos, « les premiers de tranchée ».

A un moindre degré, nous vivons aussi, nous les confinés, nous les « planqués », ceux de l’arrière, une expérience de même nature : nous assistons, de loin, à la bataille. Et nous aimerions être sûrs que la stratégie est la bonne.

C’est d’ailleurs le problème de la stratégie du confinement : elle condamne les « confinés » à  être des spectateurs. Pas vraiment : partout, dans tous les domaines, dans un grand nombre de secteurs, toutes sortes d’initiatives ont vu le jour : solidarité avec les personnels soignants, personnes âgées, les « éloignés du numérique ». Avec les agriculteurs, les producteurs locaux, les commerçants.

Dominique Meda file aussi cette métaphore de la guerre, mais dans un autre sens. Comparant cette crise sanitaire à la seconde guerre mondiale, elle explique qu’il «va falloir reconstruire très vite un programme politique de rechange exactement comme pendant la Seconde Guerre mondiale avec Beveridge et Keynes. Il nous faudra profiter de cette situation pour engager une véritable reconversion».

Puisque cette rhétorique martiale s’est imposée, pensons à Clemenceau, qui rappelait dans son discours de guerre de 1918 : «Notre devoir est de faire la guerre en maintenant les droits du citoyen, en sauvegardant non pas la liberté, mais toutes les libertés ».

PS : Emmanuel Macron avait d’ailleurs précisé le 16 mars que cette guerre n’était que « sanitaire » : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale ».

Article mis à jour, fin mars puis début avril.

Une réflexion au sujet de « Si ce n’est pas une guerre, ça y ressemble »

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