Le mathématicien Vincent Pavan est devenu l’un des visages de la mouvance covido-sceptique. Il mène avec constance, depuis le printemps 2020, une croisade contre la politique sanitaire, les vaccins anti-covid, les modèles et les modélisateurs. Avec Louis Fouché, il était le chef d’orchestre du grand rassemblement des covido-sceptiques, les 18 et 19 mai 2023, à Saintes. Un « ex-pair », selon l’expression du sociologue des sciences Yves Gingras: un de ces scientifiques qui, « à un moment donné de leur carrière, ont dérapé sérieusement et se sont mis à propager des idées incompatibles avec le consensus scientifique, c’est-à-dire avec l’état actuel des savoirs les mieux validés». Retour sur une trajectoire de radicalisation.
Ancien élève de l’École Nationale Supérieure des Mines de Nancy, Vincent Pavan est maître de conférences et chercheur en mathématiques au département à l’université d’Aix-Marseille, Ses recherches portent sur la théorie cinétique et l’équation de Boltzmann.

Hostile au confinement, il entreprend, en mai 2020, dans un article, très véhément, publié sur une plateforme de pre-print, de démontrer l’inanité des modèles qui sous-tendent la politique sanitaire. Dans « Dénoncer la fausse science épidémiologique », il dresse un réquisitoire contre un article « Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France », signé par 17 épidémiologistes de l’INSERM, de Cambridge, de l’Institut Pasteur, de la Sorbonne et de John Hopkins, qui estimait que le confinement français du printemps 2020 avait permis de faire reculer la diffusion du virus de 77%. Après avoir pointé des erreurs de calcul, des « maquillages scientifiques » et des « trucages dans les courbes », Vincent Pavan dénonce des chercheurs qui « ne comprennent ni les probabilités ni les mathématiques ». Selon lui, « l’article n’a pas vraiment d’intérêt scientifique : les problématiques dépassent rarement le niveau élémentaire ». Le ton est donné.
Au terme de ce réquisitoire, il conclut que « les 17 auteurs – dont les noms comptent parmi les plus connus au monde – n’ont aucune compétence pour traiter des questions d’épidémiologie ». Dans cette première incursion dans le débat public, Vincent Pavan met en doute la compétence des auteurs de l’étude mais aussi leur intégrité : « L’étude mathématique détaillée de leur publication permet d’affirmer que les auteurs sont des tricheurs qui maquillent leurs résultats en essayant de faire croire à une compétence qu’ils n’ont pas ».
« Bien que son plaidoyer tienne à un subtil mélange d’arguments mathématiques, le fond du problème tient au fait qu’il établit un lien direct entre des erreurs mathématiques manifestes et des intentions « cachées » des modélisateurs, qu’il juge à la botte des pouvoirs publics », observe Mathieu Corteel, philosophe et historien des sciences. « Ce qui conduit à semer le doute en confondant délibérément une erreur mathématique avec la volonté de tromper du pouvoir politique. D’une certaine manière, dès lors qu’on confond une erreur scientifique avec une intention politique, on est confronté au risque d’un glissement sémantique propre aux théories du complot ». Les boîtes noires de la pandémie : Modélisation épidémiologique et pouvoir politique durant la crise de Covid-19 in Multitudes n° 86)

En septembre 2020, Vincent Pavan propose à ses étudiants de retirer leurs masques après avoir enlevé le sien : « ça ne protège pas du virus, c’est un symbole de soumission politique. Le porter, ce serait m’imposer une narration à laquelle je ne crois pas ». Aix-Marseille Université, qui a rendu le port du masque obligatoire et dont dépend l’école d’ingénieur Polytech, initie alors une procédure disciplinaire. Elle n’aboutira qu’en septembre 2022, après que Vincent Pavan ait refusé la proposition du président de l’université de donner désormais ses cours à distance. Louis Fouché et RéInfocovid prennent immédiatement fait et cause pour Vincent Pavan.
Ce fait d’arme et cette procédure disciplinaire valent à Vincent Pavan, en novembre 2020, un premier passage sur le plateau de France Soir.
Pierre Barnerias n’avait pas jugé utile de faire figurer Vincent Pavan dans la première version du documentaire Hold-Up, en novembre 2020. Il lui consacre, toutefois, un bonus, intégré au DVD, d’une durée de 46 minutes. Vincent Pavan saisit l’occasion pour élargir son réquisitoire et contester toute scientificité a la modélisation des maladies infectieuses : « L’épidémiologie, au fond, c’est pas vraiment une science. Il n’y a pas d’équation pour modéliser la diffusion d’une épidémie. Les épidémiologistes sont dans la messe en latin, c’est-à-dire quelque chose de complètement incompréhensible pour tout le monde et y compris pour ceux qui la produisent : elle ne sert juste en fait qu’à imposer une certaine narration de la crise ».
Dans cette diatribe, Vincent Pavan franchit un palier en attribuant aux épidémiologistes des intentions cachées : s’ils sont incompétents, et s’ils truquent leurs chiffres, c’est pour « imposer le confinement », alors qu’on dispose de traitements précoces : « c’est carrément un crime de refuser de proposer aux patients des traitements qui ont fait leurs preuves, qui divisent par deux la mortalité ». « L’épidémiologie, tant que ça concernait essentiellement l’abattage des troupeaux, quand il y avait une vache folle, on la laissait faire, mais là, maintenant, elle vise la transformation politique et l’organisation de de la société ». Dès lors que les membres du Conseil Scientifique « font ça pour priver les gens de liberté », une conclusion s’impose : « ça va vers du pénal très clairement ». A propos du pass sanitaire, il évoque « une logique de guerre civile, pour faire disparaître les résistants, ceux qui ne veulent pas porter de masque et refusent de se faire vacciner : les empêcher de sortir de circuler, c’est un peu l’étoile jaune, hein, qu’on recrée. On est une logique d’ostracisation, de racisme et en fait d’élimination ».

Nouvelle poussée de fièvre avec la publication, en mars 2021, par l’Institut Pasteur et l’Inserm de l’étude ComCor qui vise à décrire les lieux et les circonstances de contamination (Elle portait sur 77 208 participants avec infection aiguë par le SARS-CoV-2). Vincent Pavan relève des contradictions dans les chiffres, dénonce « une fraude scientifique » et publie une contre-expertise . En sa qualité de président de ReinfoLiberté, une structure destinée à recueillir des financements pour ReinfoCovid. il dépose une plainte contre X pour faux, usage de faux. Cette plainte lui vaut un nouveau passage sur le plateau de France Soir (« l’étude Comcor n’est pas de la science ») dont il devient désormais, un invité régulier.
La campagne de vaccination donne lieu à une nouvelle bataille autour des chiffres. Avec Emmanuelle Darles, enseignante-chercheuse en informatique à Poitiers, il met en doute, équations à l’appui, la balance bénéfice-risque de la vaccination pour les enfants. D’après leurs conclusions, la létalité du vaccin serait 200 fois plus grande que celle du virus chez les 12-17 ans et plus de 230 fois plus grande pour les enfants âgés de moins de 12 ans. Pour leurs calculs, Vincent Pavan et Emmanuelle Darles s’appuient sur les rapports de pharmacovigilance de l’Agence nationale de surveillance du médicament (ANSM) française, ainsi que les données en de pharmacovigilance européennes. Comme le souligne l’AFP, relayée par TF1, « ces rapports ne peuvent en aucun cas être utilisés pour calculer les « risques du vaccin », car ils comptabilisent simplement les signalements d’effets indésirables suivant la vaccination, et non pas forcément en lien avec celle-ci ».

Un nouveau palier dans la véhémence et dans la radicalité est franchi, en mars 2022, avec « le Débat interdit – Langage, covid et totalitarisme », un livre co-écrit avec Ariane Bilheran, préfacé par Louis Fouché et Jean-Dominique Michel.A travers quatre chapitres – « la perversion de la science », « la perversion de la langue à des fins politiques », « la perversion morale, épistémologique et psychologique » et « l’idéologie sanitaire et le paradigme totalitaire » – les auteurs déclinent les principaux lieux communs et schèmes narratifs covido-conspirationnistes : Doxa sanitaire, Police de la pensée, inquisition, Ministère de la vérité, apartheid, logique concentrationnaire…
- Idéologie sanitaire : « il nous fallait nommer le secret des origines, ce secret incestuel qui rend possible l’avènement du délire paranoïaque orchestré sur cette idéologie sanitaire. Il nous fallait nommer les dangers de cette idéologie qui, si elle n’est pas arrêtée, conduira fatalement à une logique concentrationnaire et une extermination massive. Car ainsi fonctionne le délire paranoïaque : la persécution harceleuse des peuples au nom des idéaux tyranniques ».
- Expérimentation totalitaire : « Le chantage à la vaccination est le suivant : si vous n’êtes pas vaccinés, vous n’aurez plus le droit à un traitement digne d’un être humain, vous n’aurez même plus le droit à être soignés, vous n’aurez plus le droit de travailler, vous aurez le droit de mourir en marge de la société, en tant qu’inutiles ou pire, traités comme des criminels dangereux et des ennemis publics qui pourront également être emprisonnés sine die dans des camps concentrationnaires. C’est une expérimentation à grande échelle qui est faite sur les êtres humains ».
- Inquisition : « Les accusations de « complotisme » et de « conspirationnisme » fonctionnent désormais comme la nouvelle Inquisition (…) Le fact-cheking constitue ainsi la réunion canonique de la fausse science et du sophisme politique : c’est la forme contemporaine par excellence de la langue totalitaire ».
- Apartheid : « Actuellement, sur le même principe de porteurs invisibles/non-porteurs, nous en venons à un apartheid extrêmement stigmatisant et problématique, et si nous continuons de suivre cette idéologie, il est possible que l’idéologie aille jusqu’au bout de son idée : exclure les non-vaccinés ou lesdits « contaminés », les condamner à une mort sociale, puis les isoler dans des camps, voire à terme les « évincer » (ce qui a déjà commencé avec les refus de soins) ».
- Opposition agambienne du camp et de la Cité : « La réduction de la vie au point de vue scientifique, navrant, décadent, usurpé, a son lieu privilégié de réalisation : le camp. (…) Dans le camp, l’homme se réduit à un substrat biologique qu’il convient seulement de garder en vie (ou de faire mourir, si cela permet d’optimiser l’économie). C’est le lieu par excellence de la domination du discours épidémiologique et hygiéniste. Il faut ainsi comprendre que la dualité structurelle camp/cité établie par Agamben (…) Il y a deux catégories d’humains : ceux à qui s’applique le vocabulaire de la biologie, de la « science », des mathématiques – ceux-là sont les bannis qui vivent dans des camps – ; et ceux à qui s’applique le vocabulaire de la philosophie, de la politique au sens noble, de la culture en général – ceux-là sont les élus qui vivent dans la cité ».

Malgré une nouvelle invitation sur le plateau de Bercoff, la réception du livre est modeste. La compétition pour l’attention est rude dans la sphère covidosceptique : en cette année 2022, ce sont les livres de Didier Raoult, du Pr Perronne (Les 33 questions auxquelles ils n’ont toujours pas répondu) et de Laurent Toubiana (covid 19 – Une autre vision de l’épidémie: Les vérités d’un épidémiologiste) qui réalisent les meilleures ventes.
Les travaux préparatoires d’un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur les effets indésirables consécutifs à la vaccination contre la Covid-19 vont permettre à Vincent Pavan de rebondir. Avec Emmanuelle Darles, il se démène pour être auditionné par l’OPECST. Ils le sont « en privé » : la retranscription de leur audition ne sera pas annexée au rapport. Dans Libération, Cédric Villani, alors président de l’OPECST, s’en explique : « L’OPECST est consciente que ces auditions, publiques ou privées, peuvent être ultérieurement brandies comme un gage de crédibilité (…) Oui, on voit sur les réseaux que certaines des personnes qui se sont retrouvées auditionnées utilisent cette audition pour se prévaloir d’une certaine légitimité. Ils présentent, de façon abondante dans leurs réseaux, leur témoignage comme ayant été entendus par l’OPECST – sans parler aucunement des réponses qui leur ont été faites, des arguments contradictoires qui ont pu leur être opposés ».

Vincent Pavan engage, à l’été 2022, une campagne pour la transparence. Dans une étude critique du rapport final de l’OPECST sur les effets indésirables des vaccins, il demande que « l’on donne aux chercheurs le statut vaccinal des morts toutes causes confondues de sorte que l’on puisse effectuer de façon claire l’absence ou la mise en cause des vaccins dans la mortalité 2021 et 2022 ».

Vincent Pavan se singularise, en juillet 2022, avec une campagne d’affichage anti- vaccins à Toulouse : « 1 accident cardiovasculaire pour 100 injections : la santé de nos enfants vaut mieux que des vaccins expérimentaux ».
En septembre 2022, Vincent Pavan est suspendu pendant un an avec diminution de son salaire de moitié, et retrouve, à ce titre, le chemin des plateaux de France Soir et Bercoff-Sud Radio. Très assidu aux réunions hebdomadaires du « Conseil Scientifique Indépendant » pour chiffrer (et gonfler) les effets indésirables des vaccins, il multiplie désormais les conférences.

Ses efforts ont fini par payer. Il figure désormais parmi les chefs de file des antivaccins. Le 16 février, l’eurodéputée RN Virginie Joron l’invite au Parlement européen pour commenter les effets secondaires de la vaccination anti-Covid-19.
Le 3 Mai 2023, il siégeait, aux côtés de Robert Malone et de Christian Perronne parmi les orateurs de l’International Covid Summit III, au Parlement Européen, à l’invitation d’un groupe parlementaire d’extrême-droite.

Les 18 et 19 mai 2023, il est, avec Louis Fouché, l’un des organisateurs de la 100ème réunion du Conseil Scientifique Indépendant (CSI) : « le show délirant des complotistes du Covid » selon Libération.

Il va jusqu’à se féliciter qu’Alexandre Juving-Brunet ait pu y prendre part.

A l’issue de cette conférence, Vincent Pavan confiait, à Mike Borowski, animateur de la chaîne YouTube complotiste « Gérard Infos » : « Il ne faut pas oublier qu’on a été considéré comme des esclaves, qu’on a refusé de nous soigner, qu’on nous a injecter un produit qu’on ne voulait pas. Il faudra qu’il y ait un jugement ».

Alors que la crise sanitaire prend fin, Vincent Pavan réoriente sa réflexion autour de l’enfance : l’obligation du port du masque à l’école et de la vaccination des enfants l’ont convaincu que l’État a entrepris, depuis la Révolution, de mettre la main sur les enfants, au détriment des familles : une appropriation dont témoigneraient l’institution de l’enseignement obligatoire ou celle de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)/ « A ceux qui se demandent pourquoi et comment un mathématicien en arrive à s’intéresser aux rapports entre L’État et les enfants en République je dirai simplement que toute personne ayant eu à faire avec l’ASE comprend très vite que l’ASE est l’expression du totalitarisme ».

Dernier acte de cette dérive, un livre, « Tout foutre en l’air », paru en juin. Vincent Pavan amorce une nouvelle croisade : contre le transhumanisme, la transsexualité, la pédophilie. En ligne de pire : Zelensky, Trudeau, Biden, Macron, les Femen, Marlène Schiappa, l’OMS, éduscol, Laurence Rossignol, Sonia Backès, la vaccination, la guerre en Ukraine, la Mivilude ? Derrière l’apparente hétérogénéité de cette liste avance cependant un point commun : la réalisation d’un projet proprement sadien du rapport au corps et à la sexualité ? ».

André Bercoff ne bronche pas, le 10 Mai 2023, quand sur l’antenne de Sud-Radio, Vincent Pavan voit dans le Président Zelensky un aboutissement de la « philosophie sadienne » : « L’Ukraine est peut-être le pays le plus avancé dans le matérialisme du corps et l’appropriation biopolitique du corps par l’État, avec les marchés : la traite des femmes et des enfants, le trafic d’organes : l’élection de de Zelensky à la tête du pays n’est pas un hasard ».
Vincent Pavan dresse, dans ce livre, une série de portraits :
- « Joe Biden (Jo, le tonton pervers), le roi de la pelote mammaire, tripote les gamines et les femmes expérimentées en mondiovision »
- « L’indécence ne se cache plus : l’incestualité du couple Macron dégouline au grand jour et soudain, dans le discours public, c’est toute la pédophilie qui redevient fréquentable ».
- « Trudeau, Biden, Zelensky, Emmanuel et Brigitte incarnent l’international sadien pour qui la transgression sexuelle finit toujours par se transformer en transgression criminelle réellement meurtrière. La guerre en Ukraine s’annonce ainsi comme la succession logique de la Philosophie dans le Boudoir ».


Autant de propos et d’écrits qui donnent la mesure du chemin qu’a parcouru le mathématicien depuis le printemps 2020.