Tout État organisé collecte des renseignements et conserve des documents qui forment vite des séries volumineuses : les premiers recensements et cadastres, les premiers codes, les premières archives diplomatiques datent de l’antiquité. Les bureaucraties impériales enregistraient non seulement le passé mais le présent, accumulant et conservant non seulement les actes proprement administratifs (documents), mais aussi les informations sur les lieux et les ressources, sur les biens et les personnes.
L’information a de tous temps été une affaire d’État, mais elle relevait classiquement de l’intendance.
- La constitution de l’État moderne (état de justice, état de finance, état de police) s’est traduite par le lancement et l’entretien de « grands travaux informationnels », visant à améliorer la connaissance du pays (et non plus seulement à dénombrer les hommes et les ressources pour gérer les populations, lever l’impôt ou assurer le recrutement de l’armée).
- La connaissance et la surveillance de la production de richesses et des populations (statistique), du territoire (cartographie), des comportements des personnes, citoyens et étrangers (police), de l’état de santé des populations (« médecine d’état », santé publique, épidémiologie), de l’environnement international et des menaces stratégiques (diplomatie et services de renseignement) ont mobilisé, depuis le XVIII ème siècle des moyens croissants.
- L’émergence de l’Etat-providence, puis son expansion vers la régulation de l’économie (l’État keynésien) se sont traduites par : une extension de la sphère informationnelle publique et une intensification des « impôts informationnels » tant auprès des personnes qu’auprès des entreprises : enquêtes et questionnaires obligatoires, procédures de « publicité légale ».
- Si dans l’État moderne, l’administration des hommes et des choses relèvent de la « politique » (au sens d’expression contradictoire des intérêts et d’arbitrage entre ces intérêts), « l’administration des données » (c’est à dire la manière dont les « données » sont administrées) continue de relever d’une sorte de « back office de l’État« , peu controversé [ 1 ].
Je me propose :
- de montrer comment « l’administration publique des données » est passée, au cours des années 60-70 du registre de la gestion (procédures administratives, systèmes d’information) vers le registre de l’action gouvernementale (« politiques publiques de l’information »), pour accéder au registre du débat politique : l’arbitrage entre des intérêts contradictoires .
- de déployer le vaste spectre des responsabilités informationnelles de la Puissance Publique : parmi ces diverses « responsabilités informationnelles », il en est qui sont probablement contingentes (elles peuvent varier selon les périodes ou les pays, selon les technologies disponibles et les coûts de collecte), alors que d’autres sont durablement inscrites dans le fonctionnement de la Puissance publique, dans son code génétique.
On voit mal qui pourrait se substituer à l’État pour l’élaboration et des « normes métrologiques et informationnelles » : poids et mesures, normes comptables, plan numérique du territoire à grande échelle, nomenclatures statistiques.
En négociant l’institution des « normes métrologiques et informationnelles », en veillant à leur respect et à leur évolution, la Puissance Publique assure « l’entretien de l’infrastructure cognitive » des sociétés modernes.
- d’évoquer, en conclusion, trois questions prospectives, voire spéculatives.
• Quels enseignements peut on tirer de l’expérience japonaise quant au rendement du système informationnel public ?
• Comment envisager l’articulation entre le niveau national et le niveau communautaire dans l’entretien des grands systèmes d’information publics ?
• Les questionnaires et enquêtes d’origine publique auxquels sont soumis les personnes et les entreprises sont régulièrement soumis s’apparentent à des « impôts informationnels « . Ces « prélèvements informationnels obligatoires » ont ils vocation à s’alourdir, tendance à se stabiliser ou à décroître ?
1. De l’administration des données aux politiques publiques de l’information
« L’administration des données » est passée, au cours des années 60-70 du registre de la gestion vers le registre de l’action gouvernementale (« politiques publiques de l’information ») pour accéder (essentiellement aux États Unis) au registre politique : l’arbitrage entre des intérêts contradictoires.
a) Dans les années 60-70, la formulation de « politiques publiques de l’information » institue l’information comme enjeu de gouvernement
Au cours des années 60, hauts fonctionnaires et hommes politiques découvrent que l’information, les moyens de la traiter comme les réseaux par lesquels elle transite, peuvent faire l’objet de politiques, c’est à dire d’initiatives coordonnées orientées vers la réalisation d’objectifs.
On ne comprendrait pas cette prise en compte de l’information par les gouvernements (et à un moindre degré les Parlements nationaux) sans évoquer la conjoncture intellectuelle des années 60 et 70, marquée par une vague de travaux prospectifs sur l’avènement d’une « société informationnelle » : si les thèses et les travaux de Fritz Machlup, Daniel Bell, Edwin Parker et Marc Porat n’ont rencontré qu’un faible écho dans les milieux universitaires et chez les économistes, elles suscitèrent un grand intérêt dans les milieux politico-administratifs : l’OCDE joua un rôle important dans leur propagation.
L’idée même d’une « politique d’information » (information policy) allait pourtant à l’encontre d’une tradition bien établie selon laquelle l’État, en consacrant la liberté d’expression et la liberté de la presse, devait se tenir à l’écart de la diffusion des nouvelles et des connaissances, et plus généralement des activités de presse et d’édition qui concourent à la formation de l’opinion ( 2 .)
Ces politiques de l’information visent des objectifs et recouvrent des périmètres différents selon les périodes et les pays.
- Politiques d’informatisation .
Au cours des années 70, une série d’études et de travaux prospectifs commandés par les gouvernements ( » Plan for an Information Society », préparé par le Japan Computer Usage Development Institute, Jacudi, Rapport » National Information Policy » préparé par Nelson Rockfeller, rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société) et par l’OCDE attirent l’attention sur :
• le poids économique des industries de l’informatique et des télécommunications
• la convergence entre informatique et télécommunications
• l’impact de l’informatique et des télécommunications sur l’économie, l’emploi, les libertés publiques.
Il s’agit d’organiser le passage de la société industrielle à la société informationnelle, en stimulant les industries nationales de l’informatique et des télécommunications (politiques industrielles de l’informatique en Europe, dé-reglementation aux États Unis), en élaborant un cadre juridique pour cette « nouvelle économie de l’information » (à commencer par les lois de type « informatique et libertés ») .
- Politique d’information scientifique et technique :
Des la fin des années 50, l’idée d’une politique de l’information (information policy) s’était fait jour aux États Unis dans les milieux de la documentation. Le lancement des grands programmes technologiques mit à l’ordre du jour la nécessité de « mobiliser » la documentation scientifique et technique . Les agences fédérales, dotées de gros moyens et souvent orientées vers une mission (programme spatial, programme nucléaire, santé) furent à l’initiative des premiers systèmes documentaires automatisés et financèrent la mise au point des premiers logiciels documentaires. La NSF, de son coté, incitait les sociétés savantes à moderniser leurs systèmes documentaires, à commencer par celui de l’American Chemical Society.
Aux États Unis, c’est le lancement du premier Spoutnik et la menace d’un décrochage technologique vis à vis de l’URSS qui avaient été invoqués pour légitimer l’intervention de l’État dans le domaine de l’information scientifique. En Europe, dix ans plus tard, c’est la menace d’une dépendance vis à vis des systèmes d’information automatisés nord américains qui fut invoquée pour justifier la mise en place de programmes plus ou moins ambitieux, plus ou moins bien dotés.
- Politique des bibliothèques et de la documentation :
Les techniques et les méthodes mises au point pour automatiser la documentation scientifique et technique trouvèrent un champ d’application dans la gestion des bibliothèques publiques et universitaires. L’informatisation des bibliothèques, l’émergence du prêt intensif avec la banalisation de la reprographie, l’explosion du nombre des publications dans un contexte d’augmentation du coût des abonnements et des acquisitions débouchèrent sur des programmes de rationalisation des bibliothèques (catalogues collectifs) et l’élaboration d’une de politiques documentaires nationales.
- Les politiques orientées vers le développement d’une industrie (privée) de l’information
L’industrie de l’information a pris très tôt conscience d’elle même aux États Unis : regroupant un tissu de sociétés dont l’activité principale était le commerce d’informations professionnelles (information financière et marketing, documentation juridique et professionnelle), elle s’est organisée en « groupe de pression » pour faire valoir ses intérêts vis à vis des pouvoirs publics, face aux compagnies de téléphone et aux lobbies puissants de la presse et de l’édition généraliste.
En Europe, les études de marché, les administrations nationales, la Commission des Communautés ont défini les industries de l’information de manière beaucoup plus restreinte qu’aux États Unis, à partir d’un seul de leurs « outputs » : les bases de données.
Cette vision des industries de l’information limitée aux seuls services d’information électroniques explique le faible impact des initiatives publiques (notamment communautaires) dans ce domaine. C’est au nom de cette vision que les gouvernements (sous la pression de la Commission) ont entrepris de favoriser l’accès des diffuseurs privés aux bases de données d’origine publique.
b) Au cours de cette période, la gestion de l’information publique soulève des controverses : on découvre que l’administration des données revêt une dimension politique, par l’influence qu’exercent les grands indicateurs sur le débat public .
Conçus en premier lieu pour éclairer le Gouvernement et les administrations, les données et les indicateurs d’origine publique alimentent de manière croissante le débat public.
Un certain nombre de controverses, plus ou moins vives selon les pays et l’organisation du systéme statistique, jettent le doute sur la neutralité ou l’objectivité de ces indicateurs (la polémique sur l’indice des prix, ou plus récemment sur la mesure du chômage) .
« Simplifications« , en principe neutres et objectives, ces indicateurs sont aussi des « constructions » : ils mettent en oeuvre des techniques, mais engagent aussi des « visions du monde », ou des théories économiques, plus ou moins implicites.
Comment s’assurer que ces données et ces indicateurs, à défaut d’être « neutres » ou « objectives » présentent la « pertinence » et la « fiabilité » requises, sinon en soumettant les choix méthodologiques au feu de la critique, ou par l’implication des protagonistes du débat public (les « partenaires sociaux ») dans l’explicitation des méthodes et la définition des objectifs.
c) On découvre, enfin, que l’informatisation des administrations modifie en profondeur les modes de gestion de l’information publique .
La pénétration de l’informatique dans l’administration a cristallisé les réflexions sur la modernisation de l’administration. Si dans une première phase l’informatisation administrative s’est faite « en double, en superposition du dispositif administratif classique » et a conduit à la multiplication de banques de données administratives, les « modernisateurs » ont dégagé à partir de cette première phase des axes de réforme .
Parmi ces axes de réforme, trois notions concernent directement les « responsabilités informationnelles » de l’état :
- la « simplification des relations adminstrations-administrés« , soit une meilleure information des administrations sur leurs missions et leurs procédures
- la mobilisation de l’information d’origine administrative ( 3 )
Le développement des bases de données administratives a permis d’interconnecter les systèmes d’information à l’intérieur d’une administration, voire entre administrations (pour améliorer le fonctionnement de l’administration)
l’utilisation des données administratives en dehors de l’administration.
La communication des informations administratives était réglée par des procédures : publication, affichage, consultation de registres. La pénétration de l’informatique dans l’administration modifie radicalement la nature de l’information publique : coexistent désormais des documents administratifs (dossiers, rapports études, comptes rendus, procès verbaux, directives, circulaires…) et des données publiques.
Avec la constitution de banques de données administratives, l’information publique devient fluide : les données publiques circulent et essaiment, s’agrègent et se modifient, se croisent et s’enrichissent . Dés lors qu’on peut sur un même site informatique mémoriser, traiter et consulter des données, c’est la ligne de partage entre collecte, traitement et diffusion qui tend à s’effacer.
Avec l’introduction dans les administrations des techniques d’informatique éditoriale, avec la banalisation du traitement de texte et de la « PAO » (publication assistée par ordinateur), ce sont les catégories de publication, d’archive, de document, de registre et de fichier qui se brouillent.
d) Ces questions relèvent aux États Unis d’un débat public et contradictoire : le débat américain autour des responsabilités informationnelles de l’État fédéral semble recouper les lignes de clivage traditionnelles entre démocrates et républicains
On peut distinguer trois « fronts » dans ce débat, correspondant à trois périodes : Un conflit d’intérêt entre agences fédérales et diffuseurs privés. Un bras de fer entre agences fédérales, attachées à leurs missions informationnelles, et l’Office of Mnagement and Budget, c’est à dire la Présidence. Un débat contradictoire entre la Présidence et le Congres.
- Le débat public-privé (années 70)
Dès la fin des années 70 émerge aux États Unis l’idée d’une nécessaire limitation de l’intervention publique dans le domaine des services d’information électronique.
Le débat sur la limitation du rôle de l’État sur les nouveaux marchés de l’information est conduit à l’initiative de l’Information Industry Association (IIA) . Cette organisation joue un peu le rôle d’un syndicat professionnel des « industriels de l’information » : producteurs et serveurs de banques de données . De nombreux membres de l’IIA contestent la présence d’organismes publics sur les segments de marché que leurs banques de données aspirent à satisfaire : leurs critiques portent simplement sur la politique tarifaire pratiquée par les organismes publics (concurrence déloyale), ou plus radicalement sur l’opportunité même des services proposés par ces organismes .
On peut dégager dans le débat américain deux thématiques :
• La première thématique n’est pas spécifique au secteur de l’information : elle porte sur les relations du secteur public et du secteur privé en général. Des I932, des commissions du Congrès s’inquiétaient de la croissance du secteur public et souhaitaient que le secteur public n’entreprenne pas ce que le secteur privé pouvait faire . En I955, la 2 ème Commission Hoover présente 22 recommandations relatives à la réduction des activités publiques qui concurrençaient l’initiative privée. Le directeur du Budget adresse une directive aux agences fédérales pour qu’elles procèdent régulièrement à un audit de leurs activités commerciales : cet examen annuel leur permet de déterminer celles qui doivent être poursuivies et celles qui doivent être abandonnées. D’année en année, les directives du Directeur du Budget précisent les critères d’examen jusqu’à poser le principe que l’acquisition des produits et services auprès du secteur privé est la règle et la fourniture de des produits et services l’exception.
• La seconde thématique applique cette doctrine au secteur de l’information : « l’effort gouvernemental en matière de services d’information se justifiait dans une période de rareté informationnelle : dans la perspective d’une abondance informationnelle, cette intervention publique ne se justifie plus . Les institutions qui délivrent une ressource rare ne sont ni équipées ni organisées pour délivrer une ressource surabondante : elles conservent une mentalité de monopole » (Robert Willard, IIA). En I979, un groupe de travail réuni sous les auspices de la Commission Nationale des Bibliothèques et de la Science de l’Information (NCLIS) étudie » l’interaction entre secteur public et secteur privé dans la fourniture de services d’information ». Il conclut » que la dissémination de l’information d’origine publique doit être considérée comme une priorité, particulièrement par la médiation du secteur privé, (…) que l’investissement du secteur privé doit être encouragé et non découragé et que par conséquent, il est préférable de recourir a des distributeurs privés plutôt que de créer de nouvelles agences fédérales,(..), que l’administration ne devrait pas s’engager dans des activités commerciales de ventes d’informations, a moins qu’il n’y ait un motif sérieux pour le faire et sous réserve que des procédures soient définies pour évaluer la validité de ce motif ».
- L’automatisation de l’administration : la gestion de l’information publique comme ressource (années 80)
L’exécutif américain, engagé dans un vaste effort de réduction des dépenses budgétaires voit dans l’automatisation des administrations centrales et des grandes agences fédérales un moyen d’améliorer leur efficacité et de maîtriser les dépenses induites par la diffusion.
Sous l’Administration Carter, le Paperwork réduction act (PRA) attribue au Bureau du Budget et du Management (OMB, rattaché à la Présidence) l’évaluation et le contrôle des activités commerciales dans le domaine de l’information des agences fédérales . Il s’agit principalement de maîtriser la croissance du secteur public et de réduire les dépenses budgétaires.
Cette responsabilité de l’OMB sera confirmée sous l’administration Reagan, mais la doctrine est radicalisée. Le directeur de l’OMB demande aux agences fédérales de vérifier que leurs services d’information ne dupliquent pas ceux qui sont proposés par le secteur privé, de s’assurer qu’ils ne pourraient pas être assurés dans de meilleures conditions par le secteur privé, de veiller a ce que leurs tarifs répercutent l’ensemble des coûts.
La thématique sous jacente d’un « retrait » de l’État dans le domaine des services d’information au profit de l’industrie privée rencontre, sous les Présidences Reagan et Bush, un écho favorable. Le Congres (à majorité démocrate), conteste la manière dont la Directive A-130 de l’OMB est appliquée.
- La responsabilité de l’État dans la diffusion d’information
L’information publique est considérée à la fois comme une source de dépenses qu’il s’agit de maîtriser et comme une ressource qu’il s’agit de gérer. Les moyens (humains, informatiques et financiers) engagés pour sa production et sa diffusion, ainsi que les recettes que les données publiques génèrent, sont désormais identifiés dans les procédures budgétaires.
Le gouvernement fédéral a consacré en 1987 6 milliards de $ pour la seule diffusion des informations d’origine publique : la recherche d’une meilleure productivité par le recours à l’informatique est un enjeu majeur pour ces activités qui mobilisent 31 000 personnes. Le rôle des agences fédérales quant à la valorisation de l’information publique fait depuis de longues années l’objet d’un débat public.
A l’initiative du Congrès américain, le débat se déporte de la question des relations entre secteur public et secteur privé vers celle des missions de la puissance publique en matière d’information :
• restructuration du dispositif éditorial fédéral ;
• nature des services que seront autorisés à rendre le Government Printing Office, le Superintendent of Documents, le Depository Library Program, le National Technical Information Service, le Consumer Information Service.
2. Le vaste spectre des « responsabilités informationnelles » de la Puissance Publique
a) Les gisements publics de données et documents
Les grandes organisations publiques, enregistrent non seulement le passé mais le présent, accumulent et conservent non seulement les actes proprement administratifs (documents), mais les informations sur les lieux et les ressources, sur les biens et les personnes, sur les transactions économiques et les faits sociaux.
A travers cette vaste « machinerie informationnelle », l’Etat constitue un savoir sur le pays, la société, son environnement .
Dans la constitution de ce savoir, sans doute faut il distinguer trois grands modes :
- La constitution de gisements de données administratifs à travers la gestion de procedures régaliennes.
Cadastre, etat civil, impots, douanes, santé publique : en gérant des procédures administratives, la Puissance publique enregistre et accumule de vastes collections de données et constitue « indirectement » un savoir des populations et du territoire.
- La production systématique d’informations et de connaissances à travers le lancement et l’entretien de « grands travaux informationnels » .
Pour améliorer sa connaissance du pays, des ressources naturelles, des richesses produites, des populations, la Puissance Publique a été conduite au cours des siecles à autonomiser, souvent à la peripherie des administrations, une série d’institutions : instituts de cartographie, instituts statistiques. Ces institutions, peripheriques aux administrations en charge de l’ordre public et gestionnaires de procedures administratives ( » la « police » au sens ancien d’administration générale) résultent souvent du transfert vers l’administration civile de services qui avaient été mis en place par les militaires (cartographie) ou du regroupement d’entités administratives dispersées dans un certain nombre de ministéres. Il s’avere difficile de dissocier dans ces grands « systemes d’observation » ceux qui poursuivent un objectif de connaissance et ce ceux qui poursuivent une mission de « vigilance » et d’alerte : santé publique, méteorologie, hydrologie marine, information routiere.
Avec le progrés technique, l’accent se déplace de l’entretien de grands travaux informationnels à la mise en place de grands équipements, comme les satellites d’observation et de télé-detection (Landsat, Spot).
- l’enregistrement et la conservation des « actes administratifs » : la documentation administrative
Le fonctionnement des administrations donne lieu à l’élaboration d’une grande variété de documents : courriers, notes, relevés de décision, rapports. Ces documents sont depuis longtemps l’objet d’un effort systematique de conservation et d’enregistrement : leur diffusion donne lieu à l’élaboration de régles : le principe de « secret » s’efface progressivement au profit d’un principe de transparence (droit d’accés aux document administratifs, Freeedom of information act).
b) L’élaboration et la prescription des normes métrologiques et informationnelles
Dans la poursuite de ses missions régaliennes (fiscalité, controle des echanges) et de régulation de la société au sens le plus large, l’Etat a été conduit, au fil des siécles, à prescrire des normes métrologiques et « informationnelles » pour garantir la transparence de la société à elle même. Ces normes permettent aux personnes, physiques et morales, de décrire et definir des caracteristiques et des performances.
- systeme de poids et mesures pour garantir le fonctionnement normal des échanges
- normes comptables pour la presentation des résultats financiers et la déclaration fiscale des entreprises (le « plan comptable »)
- obligations en matiere d’information financiere pour les entreprises pour garantir la transparence des marchés
- obligations spécifiques en matiere d’information financiere pour les entreprises cotées pour garantir la transparence des marchés boursiers
D’autres normes informationelles permettent aux personnes physiques et morales de se decrire et de se situer : categories statistiques, nomenclatures industrielles
Ces normes informationnelles sont souvent associées à des obligations en matiere de publication : les obligations de publicité légale, rapports d’activité pour les entreprises cotées.
Le champ de ces normes et de ces obligations de publicité s’étend avec l’extension des missions de la Puissance Publique et l’emergence de nouvelles preoccupations : bilan social, bientot les « bilans environnementaux ».
Le respect de ces « normes informationnelles » par les acteurs économiques est organisé par une serie de professions reglementées (experts comptables, commissaires aux comptes), d’officiers ministeriels et d’institutions (greffes des tribunaux de commerce).
Dans l’élaboration de ces normes, la Puissance Publique tend de plus en plus à associer les acteurs économiques concernés : de la prescription unilaterale de normes, on passe à la négociation.
L’ensemble de ces normes constitue l’infrastructure cognitive de la société : ces normes constituent autant de « langues » specialisées qui permettent a l’ensemble des acteurs concernés de communiquer entre eux, ou de s’assurer qu’ils traitent de la même chose : quantités, qualités, performances.
c) La régulation de l’échange et la police de la circulation de l’information.
Pour rendre compte de la manière dont l’Etat, là aussi au fil des siècles, a contribué à organiser l’échange et la circulation des « connaissances », des « oeuvres de l’esprit » et des « nouvelles », il faut renoncer à toute idée de principe unificateur, comme celle d’un « marché de l’information ».
L’’idée qu’il existe un « marché de l’information » et que la Puissance Publique a vocation à organiser le marché de l’information en instaurant des « droits de proprieté » ne remonte qu’à quelques dizaines d’années .
Ce qui frappe, ici, c’est plutôt la stratification et la juxtaposition des principes, des réglements et des dispositifs au travers desquels l’Etat a entrepris de :
- Préserver le « secret » dans un certain nombrededomaines régaliens (secret défense)
- Réglementer l’équilibre entre les obligations et les droits des personnes physiques et morales soumises aux « prélèvements informationnels obligatoires » (secret statistique)
- Catalyser la diffusion d’informations (obligations de publicité)
- Encourager la création d’oeuvres de l’esprit (droit d’auteur)
- Organiser la circulation des connaissances technologiques en accordant des monopoles d’exploitation pour une durée limlitée (brevets)
- Organiser l’opacité des connaissances techniques et industrielles (secret industriel, secret commercial,
- Protéger les personnes et leur vie privée contre la diffamation ou les intrusions (informatique et libertés)
- Donner un cadre légal d’ensemble à certaines professions : le droit de la presse
3. Trois questions
a) Quels enseignements peut on tirer de l’expérience japonaise ?
Un des ressorts de la compétitivité japonaise réside dans la coexistence entre « filiéres » marchandes et publiques dans la collecte, dans la mise en forme et dans la diffusion des informations utiles aux entreprises, mais surtout d’une forte intensité des échanges d’information intra et inter-entreprises. Dans quelle mesure les politiques industrielles, d’innovation, en direction des PME, de recherche et technologie, peuvent elles s’inspirer de l’efficacité du systéme informationnel japonais ?
b) Comment envisager l’articulation entre le niveau national et le niveau communautaire dans l’entretien des grands systémes d’information publics ?
Dans certains domaines, le transfert au niveau « européen » s’est imposé : brevets et marques. Dans d’autres domaines, la coexistence de systémes nationaux semble durable, mais l’harmonisation des méthodes, des nomenclatures et des collections de données progresse laborieusement.
c) Les impôts informationnels ont ils vocation à s’alourdir, tendance à se stabiliser ou à décroître ?
Les questionnaires et enquêtes d’origine publique auxquels les personnes et les entreprises sont réguliérement soumis s’apparentent à des « impots informationnels : en communiquant des informations qui les concernent, en abandonnant aux organismes publics collecteurs leurs « droits » sur ces renseignements (y compris en cas d’exploitation commerciale de ces renseignements), les personnes et les entreprises acquittent une dette sociale.
Ces prélèvements informationnels (souvent obligatoires) sont, comme les impôts, directs ou indirects.
Tout laisse penser qu’avec l’informatique, ces prélèvements informationnels ont connu une croissance rapide. On peut aussi interpréter la mise en place du Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs (CERFA), les efforts de coordination du systéme statistique pour réduire la charge statistique, la législation « informatique et libertés » comme des tentatives de stabilisation du niveau des prélèvements obligatoires informationnels.
“L’état comme machine informationnelle” Publié dans la Revue Française d’Administration Publique, Institut International d’Administration Publique, Paris, 1994.
Notes :
[ 1 ] Les services de renseignement constituent un cas à part : les majorités et les oppositions s’accordent, en général, à soustraire cette « zone grise » au débat public . Le développement tentaculaire des services secrets, leur tendance à s’émanciper vis à vis du pouvoir politique, les scandales dans lesquels ils sont regulierement impliqués font de leur contrôle un enjeu majeur et récurrent du débat démocratique.
[ 2 ] Au XIX eme siécle, une ligne de partage avait été tracée entre le secteur public, l’initiative privee et la communauté scientifique. A l’Etat revenaient le financement et la constitution des « grands équipements informationnels » : recensement, systeme statistique et comptabilité nationale, couverture cartographique du territoire. La légitimité de l’Etat dans la mise en oeuvre et la conduite des ces « grands travaux informationnels » est comparable à celle qui lui est réconnue en matière d’infrastructures : transport, énergie, messagerie postale, téléphone. On admet que seul l’Etat détient la légitimité pour conduire ces « grands travaux« .
[ 3 ] Les travaux de l’OPIDA (Operation PIlote Interministérielle sur les Données administratives) portaient sur l’integration des systemes d’information et des fichiers administratifs (pour ameliorer le fonctionnement de l’administration) mais aussi sur l’utilisation des données administratives en dehors de l’administration