Accaparement du débat public par les experts et les groupes d’intérêt, abstentionnisme, dérives de la “démocratie d’opinion” (médias et sondages), attentes des citoyens en matière de participation : notre démocratie fonctionne mal.
Internet et les technologies de l’information constituent de puissants leviers pour revitaliser la démocratie, inventer de nouveaux mécanismes de débat public, améliorer la transparence des institutions. Pourquoi se focaliser, comment on le fait trop souvent, notamment à droite, sur le vote électronique ?
1. Internet, c’est d’abord un renouvellement profond des pratiques et des exigences des citoyens
Les citoyens n’ont pas attendu l’Internet pour exprimer leur demande de participation à la décision. Ils trouvent désormais dans les technologies de l’information de nouveaux moyens d’expression. L’ouverture d’une boîte aux lettres sur le site Internet d’une administration engendre systématiquement un flux de questions et d’interpellations. C’est un défi et une opportunité majeurs pour les institutions que cette confrontation permanente avec les demandes des citoyens.
Pour le meilleur et pour le pire, les œuvres interdites, les rapports mis au placard, les informations que l’on tente de cacher, les sondages impubliables seront en ligne. La transparence concernera les marchés comme le pouvoir.
Internet favorise les formes non conventionnelles de participation à la vie publique : il facilite la naissance ou le fonctionnement de collectifs en diminuant les coûts d’organisation. Les associations et les mouvements sociaux tirent de mieux en mieux parti d’Internet pour s’organiser, se faire connaître et se faire entendre dans le débat public.
La mobilisation des chercheurs doit beaucoup à Internet : elle a démarré, début 2004, en ligne, avec la pétition « sauver la recherche ».
2. Une démocratie informationnelle
La démocratie, ce sont d’abord des citoyens informés, en situation de suivre les délibérations des assemblées, d’exercer un contrôle sur les décisions et les actes des collectivités publiques.
C’est l’un des principaux acquis du gouvernement Jospin que d’avoir créé service-public.fr, encouragé l’ouverture de centaines de sites publics et d’avoir mis en ligne gratuitement les données publiques essentielles : lois et décrets, rapports officiels….
En dépit de ses discours sur la « République numérique », Jean-Pierre Raffarin s’est opposé à l’adoption d’un amendement relatif aux données publiques, lors du débat parlementaire sur la loi sur l’économie numérique. Cet amendement, proposé par les socialistes, faisait obligation aux administrations de mettre à disposition de toute personne qui en fait la demande les données numérisées qu’elles collectent ou produisent. Il prévoyait aussi que « les administrations mettent gratuitement à la disposition du public, en ligne, les données essentielles qui les concernent »[1].
Autre signe de cette régression en matière de diffusion des données publiques essentielles : le gouvernement envisage de rendre payant l’accès en ligne aux rapports publics sur le site de la Documentation Française.[2]
3. Démocratie participative
Villes et régions souhaitent de plus en plus consulter les habitants sur leurs projets ou sur leurs initiatives dans des domaines très divers. Ces consultations publiques enrichissent le processus de décision en recueillant un grand nombre d’avis, en élargissant le cercle des « parties intéressées ».
Il faudra, un jour prochain, instaurer un véritable droit à l’information publique en ligne: consultation avant la publication des principaux actes réglementaires, mise en ligne obligatoire des documents d’enquête d’utilité publique et possibilité d’y réagir par courrier électronique.
4. Le vote par Internet : pourquoi faire ?
D’expérimentations en décrets, un processus rampant d’instauration du vote électronique pour les élections politiques semble amorcé en France, sans que le Parlement n’ait eu (depuis 1969 !) l’occasion d’en débattre.
Jean-Pierre Raffarin a carrément proposé, lors d’un chat, le vote par Internet pour les Européennes de 2009. Il devrait savoir qu’aucun pays n’a instauré le vote par Internet. Et que tous ceux qui l’envisageaient y ont finalement renoncé.
• Les partisans du vote par Internet avancent des arguments de simplicité pour les électeurs, l’augmentation du taux de participation, l’obtention immédiate des résultats, la chute du coût d’organisation des élections. Les objections l’emportent pourtant nettement sur les avantages (au reste, largement surestimés). Comment préserver le caractère personnel du vote dès lors que l’électeur vote a domicile ? Comment s’assurer qu’il ne subit pas les pressions de l’entourage familial ou de l’employeur ? Comment garantir la sincérité du scrutin face aux risques de fraude ?
L’instauration du vote à distance pour les élections politiques ferait, en outre, basculer notre système politique dans un autre régime : la démocratie instantanée. Le débat public, la confrontation des opinions et des options ont besoin de temps. [3]
• Le vote automatisé, via des « urnes électroniques » est moins problématique que le vote à distance. Plusieurs pays européens utilisent d’ores et déjà des « machines à voter ». Avant d’en étendre l’utilisation en France, il conviendra de bien peser les risques.
Le vote « papier » présente plusieurs excellentes propriétés, à commencer par la confiance : l’ensemble de la procédure est transparent et vérifiable par tout le monde. La vérification n’est pas déléguée ou réservée à quelques experts en informatique. Massivement distribué sur l’ensemble du territoire national, le vote papier peut être ici ou là l’objet de fraudes, mais il est impossible de manipuler une proportion des votes assez importante pour faire basculer le résultat d’un scrutin national.
Si d’aventure le vote électronique devait être instauré en France, il faudra mettre en place de solides garanties : il est crucial que le système permette une vérification rétrospective, et ceci sans compromettre le secret et l’intégrité du vote (cryptage). Enfin, le système doit être auditable par n’importe quel citoyen (et non les seuls experts du ministère de l’intérieur) ce qui suppose l’accès au code source.
• Sans aller jusqu’au vote électronique, il est cependant souhaitable de moderniser le processus électoral en remplaçant le registre électoral par un terminal informatique connecté à un fichier centralisé des électeurs. Tout en préservant l’essentiel, l’urne et l’isoloir, ceci offrirait la possibilité aux électeurs en déplacement de voter dans le bureau de vote de leur choix.
La démocratie est une conquête fragile. Elle repose d’abord et en premier lieu sur des citoyens informés et concernés. L’apport principal de l’internet tient à l’amélioration des processus de participation, de délibération et de décision beaucoup plus qu’à une éventuelle transformation radicale du processus de votation.
Anne Hidalgo, Secrétaire Nationale à la Culture et aux médias du Parti Socialiste. Première adjointe au Maire de Paris, Conseillère Régionale
Maurice Ronai, délégué national du Parti Socialiste en charge des NTIC
Vers une démocratie ouverte (site du Parti socialiste)
[2] François Marc : La Documentation française : La réforme nécessaire pour un éditeur public de référence http://www.senat.fr/rap/r03-394/r03-394.html
[3] Rien n’interdit, en revanche, d’instaurer le vote à distance pour les scrutins où l’on peut d’ores et déjà voter par correspondance : assemblées générales d’entreprise, associations, chambres de commerce etc.…).