De l’activisme informationnel des administrations à la regulation de l’information publique (1996)

Les pouvoirs publics ont multiplié, au cours des 20 dernières années, les initiatives pour mobiliser, valoriser, diffuser, commercialiser les informations et données détenues par les administrations et établissements publics.

  • Une première période de colbertisme informationnel voit les pouvoirs publics tenter, sur un mode volontariste, de susciter l’émergence d’une industrie française de l’information. (1978- 1985).
  • Avec le lancement à grande échelle du programme télématique, les administrations se lancent fébrilement dans l’exploitation de services d’information (1982-1990).
  • Au début des années 90, les industries de l’information accèdent à la maturité. La compétition se durcit. Les gisements de données qui permettent d’exploiter les (rares) poches de solvabilité du marché de l’information suscitent concurrences et rivalités. Cette troisième période voit se cristalliser des tensions entre acteurs publics et privés pour l’accès aux données publiques.

Au moment ou le débat sur la commercialisation des données publiques rebondit en France, on voit émerger une représentation unifiée de l’information publique. On voit poindre aussi autour d’Internet de nouveaux principes et pratiques dans la diffusion de l’information publique.


Vers la fin des années 70, le Parlement et les grandes banques se connectent à un serveur américain pour consulter les statistiques françaises, faute de les obtenir rapidement de l’INSEE. Cette situation frappe les esprits : pour accéder aux informations économiques, internationales, mais aussi françaises, les entreprises dépendront elles à l’avenir de fournisseurs américains ?

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Deniers publics et données publiques aux Etats Unis

Informatisation des administrations, transparence administrative, commercialisation des données publiques… En Europe, cette modernisation de l’infrastructure informationnelle publique a été pensée et conduite comme un processus d’ajustement : elle a suscité peu de controverses. Aux États Unis, elle fait l’objet depuis 20 ans de débats intenses, au Congrès et dans la presse. Alors que l’information publique, sa gestion, sa diffusion, semblent relever en France et en Europe d’une intendance peu controversée, elle relève aux États Unis du débat politique.

Ces controverses américaines autour de l’information ne seraient elles qu’un effet du fonctionnement très démocratique et très procédural des institutions américaines ? Consultations, auditions, rivalité entre les pouvoirs présidentiel et législatif : le débat américain semble se nourrir de lui-même. Cette clé de lecture n’épuise pas la question.


L’information publique, fondement de la démocratie

La « Government information » constitue aux États Unis un domaine de préoccupations, à la transversal et circonscrit : elle recouvre toutes les informations collectées et détenues par les administrations fédérales. ( 1 )

  • L’information publique fédérale est considérée, dans la tradition politique américaine, comme un pilier de la démocratie. Le premier amendement à la constitution prévoit que le Congrès ne peut adopter de loi restreignant la liberté d’expression. Le Congrès veille scrupuleusement à ce que les citoyens et la presse puissent accéder librement à l’information fédérale. Le Government Printing Office fut institué en 1861.
  • Le Printing Act de 1895 définit ses missions et le place sous le contrôle du pouvoir législatif.
  • Le Depository Library Program fut institué en 1857 : il prévoit le dépôt des documents officiels dans un certain nombre d’universités et de bibliothèques. Il institue un « filet de sécurité informationnel » (information safety net) pour le grand public.
  • Le Freedom Act of Information (FOIA) institue en 1966 le principe de l’accès aux documents administratifs.
  • En outre, la loi sur le Copyright place l’information fédérale dans le domaine public : la diffusion de l’information fédérale doit être aussi libre que possible et ne peut faire l’objet d’aucune restriction. ( 2 )

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Information et performance globale …

Article paru dans le Monde Diplomatique Avril 1993 sous le titre « L’information clé du pouvoir ? »

Être performant, en économie, signifie-t-il désormais être informé ?

La question se pose à nouveau à la lecture d’un récent rapport du commissariat général du Plan. [1] Ses auteurs proposent en effet de placer les années 90 sous le signe de la « performance globale » : formation, innovation, attractivité du territoire, réseaux de communication, mesures fiscales visant à orienter l’investissement vers les entreprises.

Le programme du président William Clinton ne dit pas autre chose. Parmi les cinq éléments-clés de la « performance globale » retenus par le Plan, trois relèvent de ce que les économistes appellent l’information.

La performance, parce qu’elle intègre une telle dose d’information, dès lors, devient « informance ». Elle est, en effet, le résultat de la densité et de la fluidité des échanges d’informations entre les services de l’Etat et les entreprises ; entre les entreprises ; entre l’Etat et les citoyens ; entre les citoyens et les entreprises ; voire, au sein de l’Etat, entre exécutif et législatif, ou entre administrations. Dans cette démarche globale, le Japon et les Etats-Unis, chacun à sa manière, semblent avoir pris une nette avance sur leurs concurrents.

L’abondante littérature consacrée au « modèle » japonais accorde une place de premier plan à son ingénierie de l’information, dont la description est devenue une discipline en soi. Experts et chercheurs spécialisés oscillent entre deux approches.

La première, que l’on pourrait qualifier de « culturaliste », est centrée sur la mise en évidence d’une conception spécifiquement nippone de l’information, qui serait enracinée dans l’histoire.

La seconde décrit les phénomènes de mobilisation de l’information, les institutions qui la mettent en mouvement, les modes d’organisation qui assurent sa circulation.  ( 2 )

Les Japonais, de leur côté, sont peut-être plus conscients des défaillances et des opacités de leur dispositif, et notamment du conformisme de leur presse, de sa connivence avec les institutions, du verrouillage assuré par les clubs de la presse, qui monopolisent et filtrent les nouvelles.

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Japon : l’archipel de l’information

L’archipel de l’information, en collaboration avec Thierry Ribault Publié dans « Allemagne-Japon, les deux titans » Manière de Voir, Mai 1991.

Le Japon est au premier rang dans l’industrie, l’électronique et désormais dans la finance. Pour s’imposer comme puissance économique globale et légitime, le Japon doit encore relever trois défis.

  • Le premier d éfi est scientifique : apres avoir industrialisé avec génie les découvertes faites en Europe et aux Etats Unis, le Japon doit accroitre son effort dans le domaine de la recherche fondamentale.
  • Le second est logiciel : le Japon domine les circuits intégrés et les composants mais il aborde seulement l’industrialisation du développement des progiciels.
  • Le troisième est informationnel : l’ouverture à l’étranger de ses gisements de données.

Cette triple montée en puissance du Japon dans la division internationale du travail scientifique, dans l’industrie du logiciel et sur les marchés de l’information se heurte à de nombreux obstacles, en particulier éducatifs et linguistiques : pénurie de chercheurs, pénurie d’ingénieurs informaticiens, faible efficacité du système éducatif en matiere d’enseignement des langues étrangères. Si le Japon est tenté d’exporter sa langue, force est de constater que les initiatives dans ce domaine sont encore timides et limités les résultats. On comprend mieux l’intensité des efforts que le Japon déploie dans l’ingénierie linguistique et la traduction assistée par ordinateur.

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A propos des « technologies de l’intelligence » de Pierre Levy

Pierre Levy : Les technologies de l’intelligence, L’avenir de la pensée à l’ère informatique. La Découverte, 1990, Paris

 

Depuis Husserl, Heidegger et Ellul, la technique est devenue question de philosophie : Essence de la technique, Systeme Technicien, Rationalité Occidentale. Puissance mauvaise, autonome, fatale, inéluctable et détachée du devenir collectif de l’humanité.

Pour Pierre Lévy, il n’y a pas de Technique en général, « mais un champ ouvert de technologies, conflictuel et partiellement indéterminé ». Lire la suite

L’Etat comme machine informationnelle (1994)

Article publié dans la Revue française d’administration publique  Année 1994  72  pp. 571-580

etat comme machine informationnelleTout État organisé collecte des renseignements et conserve des documents qui forment vite des séries volumineuses : les premiers recensements et cadastres, les premiers codes, les premières archives diplomatiques datent de l’antiquité. Les bureaucraties impériales enregistraient non seulement le passé mais le présent, accumulant et conservant non seulement les actes proprement administratifs (documents), mais aussi les informations sur les lieux et les ressources, sur les biens et les personnes.

L’information a de tous temps été une affaire d’État, mais elle relevait classiquement de l’intendance.

  • La constitution de l’État moderne (état de justice, état de finance, état de police) s’est traduite par le lancement et l’entretien de « grands travaux informationnels », visant à améliorer la connaissance du pays (et non plus seulement à dénombrer les hommes et les ressources pour gérer les populations, lever l’impôt ou assurer le recrutement de l’armée).
  • La connaissance et la surveillance de la production de richesses et des populations (statistique), du territoire (cartographie), des comportements des personnes, citoyens et étrangers (police), de l’état de santé des populations (« médecine d’état », santé publique, épidémiologie), de l’environnement international et des menaces stratégiques (diplomatie et services de renseignement) ont mobilisé, depuis le XVIII ème siècle des moyens croissants.

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La circulaire A 130 …

Aux États Unis, l’information publique, sa diffusion, sa gestion, son contrôle, son ouverture font l’objet depuis 20 ans l’objet d’un débat permanent. Les différentes branches du pouvoir exécutif (Départements d’état, du Commerce, de la Défense, les agences fédérales), le Sénat, la Chambre des Représentants, les organisations professionnelles de la presse et des industries de l’information, la communauté scientifique, les professionnels des bibliothèques et de la documentation y prennent part. Lire la suite

Havas ou les arcanes du pouvoir (compte-rendu)

(Compte-rendu publié dans le Monde Diplomatique, Janvier 1993)

En explorant le passé tumultueux de l’agence Havas, Antoine Lefébure 1 nous propose une véritable archéologie de ce qu’on appelle aujourd’hui « les industries de la communication ».

Solidement documenté, il met en lumière les connivences et les complicités qui ont rendu possible la naissance des agences de presse. Avec le portrait de Charles Havas, négociant avisé, agent de Fouché, espion occasionnel et inventeur de la première agence de presse internationale, on prend la mesure des équivoques qui pèsent sur des activités qui vendent de l’information aux uns, de l’audience aux annonceurs, tout en négociant avec les uns et les autres (pouvoir politique, milieux financiers, intérêts étrangers) leur capacité d’influence sur l’opinion.

En mettant en relief des liens de l’agence Havas avec les milieux financiers, les intérêts croisés, la confusion des genres dans l’exercice de plusieurs métiers (l’agence rédige les dépêches, la régie collecte la publicité rédactionnelle clandestine et répartit les budgets de publicité), cet ouvrage apporte des éclairages troublants sur la vie financière et le lancement des emprunts et, au-delà, sur la vénalité des milieux dirigeants et de la presse jusqu’à la seconde guerre mondiale. Si les ancêtres de nos « groupes multimédias » se livrent, dans les « zones grises » du pouvoir, et sur fond de corruption, à une concurrence sans merci, ils font preuve d’un sens aigu de l’innovation ; ainsi, l’agence Havas, pionnière dans le commerce des nouvelles internationales, puis dans la publicité, fut longtemps à l’affût de tout ce qui pouvait accélérer la circulation des messages : télégraphe, TSF, câbles sous-marins. Dans les derniers chapitres, Antoine Lefébure (qui fut directeur de la prospective d’Havas au début des années 80) évoque les grandes et petites manoeuvres d’un groupe qui, ayant renoncé à inventer (à l’exception notable de Canal Plus), se perpétue, depuis sa privatisation, comme une holding sans projet.

Notes :

[1] Antoine Lefébure, Havas, les arcanes du pouvoir , Grasset, Paris, 1992, 406 pages, 148 F.

Crise de maturité de la filière électronique

Article publié en novembre 1992 dans le Monde Diplomatique

Surcapacités de production dans les composants et relance de la fuite en avant technologique, guerre des prix et accélération « sauvage » du cycle de renouvellement des innovations et des produits dans l’informatique : en 1991 et 1992, pratiquement tous les industriels de l’informatique et des composants ont connu des résultats en baisse, voire des pertes. Pour restaurer leur rentabilité, les constructeurs licencient par dizaines de milliers. IBM a engagé une profonde refonte de ses structures et de sa culture. La situation n’est pas meilleure dans l’électronique grand public : la diffusion des magnétoscopes, chaînes hi-fi et lecteurs de compacts marque une pause : pour relancer leurs activités, les industriels tablent sur un renouvellement des téléviseurs et sur l’émergence d’une nouvelle génération d’équipements (téléphone « intelligent », téléphone mobile, micro-ordinateur portable, disque compact interactif).

Cette crise de maturité de la filière électronique affecte tout particulièrement les industriels européens. Leur part de la production mondiale n’est plus que de 26 % dans l’électronique, 10,5 % dans les semi-conducteurs (49,5 % pour le Japon, 36,5 % pour les Etats-Unis), 15 % dans les équipements périphériques (40 % pour le Japon, 25 % pour les Etats-Unis), 20 % dans l’électronique grand public (55 % pour le Japon). Dans l’informatique, la production réalisée en Europe ne couvre que les deux tiers de sa demande intérieure, et est assurée à 60 % par des firmes d’origine américaine. Après un net redressement entre 1984 et 1987, l’industrie communautaire a reperdu du terrain. Son déficit commercial atteignait 9 milliards d’écus en 1984. Il est passé à 31 milliards en 1990.

Les reculs dans l’informatique, les composants et l’électronique grand public tranchent singulièrement avec les bons résultats des Européens dans l’aéronautique, les télécommunications ou l’électronucléaire. Le soutien des gouvernements n’a pourtant pas manqué aux champions nationaux de l’informatique pendant les années 70. Un par un, la plupart d’entre eux sont pourtant passés sous contrôle étranger ou ont perdu leur indépendance technologique. ICL est désormais sous le contrôle de Fujitsu et Olivetti dans l’orbite de Digital Equipment ; le gouvernement français s’est finalement tourné vers IBM pour préserver l’avenir de Bull, tout en confortant la position de NEC dans son capital. Philips s’est désengagé des composants. Thomson Consumer Electronics traverse une phase difficile. Seul Siemens continue d’investir pour rester présent dans l’ensemble de la filière électronique.

Maurice Ronai

La guerre des données : un nouvel ordre mondial de la documentation (1979)

Maurice Ronai et Antoine Lefebure, « La guerre des données » in Le Monde Diplomatique, novembre 1979

guerre-des-donnes-1979-08596En 1971, l’UNESCO définissait l’information scientifique et technique comme une « ressource mondiale », c’est-à-dire collective, et proposait la constitution d’un système mondial d’information scientifique UNISIST (1). Lire la suite